C’est pas la peine de déboîter la mâchoire des enfants pour dénicher la vérité ; elle en sortira au moment où tu t’y attendras le moins. C’est pas la peine, non plus, de te repasser en boucle le film du jour où elle éclatera, en y mettant à chaque fois un peu plus de sang sur les murs : la vérité ne te blessera jamais autant que ton imagination. Nous adorons jouer aux chevaliers errants, enfiler notre armure, nous coller un peu d’ombre dans les yeux, enfourcher notre cheval, et nous imaginer parcourir le monde en quête de la vérité. Mais nous sommes si souvent fatigués avant même de partir, que nous préférons rester autour de la table ronde et mentir comme des arracheurs de dents, de peur qu’elle ne sorte les crocs ; tant qu’il y a de quoi grailler et encore assez à boire pour croire aux salades que nous nous racontons. La terre a beau être ronde, nous savons pertinemment qu’au bout du chemin il n’y a rien d’autre que ce vide que nous portons. Mentir, un moyen de vivre, de nous tenir debout et d’avancer. Nous nous emmitouflons sous nos bobards, nous nous gonflons des promesses de ceux qui nous aiment, des serments de ceux que nous avons condamnés, le temps d’ériger quelques vérités éphémères de les penser assez solides pour y planter nos griffes, le temps d’oublier l’absurde, la vérité et le cri atroce du désespoir qui nous pousse dans le vide.
Mais regarde-nous, comme nous sommes ridicules ; à nous empêtrer dans nos mensonges. À nous promettre de ne jamais nous faire de mal, comme ça fait bien longtemps que nous ne savons plus comment nous faire du bien. À lever la main droite par réflexe et faire le serment d’être si grands que la vie ne nous y reprendra plus, à adorer jouer aux chevaliers errants. À nous raconter tout un tas d’histoires autour de la table ronde, pour y trouver toujours de quoi grailler et assez à boire pour oublier que ça fait longtemps que nous sommes déjà partis. Mais regarde-nous, comme nous sommes ridicules ; à montrer nos petits poings pour dénicher la vérité. À la traquer sous le plaid du canapé qui ne cache plus rien depuis que nous ne nous y blottissons plus. À farfouiller dans notre mémoire et dans l’historique du navigateur pour nous donner de bonnes raisons de quitter la table sans demander la permission. À nous coller un peu d’ombre dans ces yeux qui passent leurs nuits à imaginer le pire à travers la serrure de la porte d’entrée depuis que l’amour ne sait plus les aveugler, que ni la cheminée ni nos mensonges ne nous réchauffent plus assez. Mais regarde-nous, comme nous sommes ridicules ; à déboîter la mâchoire des enfants, des fous et des ivrognes, pour faire sortir cette foutue vérité de tripes qui n’éclatent jamais sur ces murs que seul le temps jaunit.
Il y a des matins où la vie me dépasse et des soirs où je voudrais aller plus vite que la musique ; il y a des soirs où j’adore imaginer me jeter enfin dans le vide, et des matins où je n’ai plus la force de me débattre sous la mâchoire de ces chevaliers errants qui me font cesser de mentir.
Notice biographique
Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture. C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.