Réjouissez-vous, le véritable Wolverine est de retour. Et non, je ne parle pas de ce mutant griffu que Charles Soule a transformé en statue d'adamantium dans un final pathétique et indigne de la longue carrière du personnage. Je parle du vrai Wolverine. Celui que les anciens lecteurs comme moi, de l'époque Lug et Semic, appelaient simplement Serval. Sauvage, animalesque, une force de la nature qu'il ne faut surtout pas déranger. Pas un directeur d'école ou un éducateur à la cool qui dispense des conseils zens. Une bête féroce et un homme, tout simplement, l'un étant indissociable de l'autre. Et si ce Wolverine là est de retour, c'est parce qu'en fait, il ne s'agit pas tout à fait de l'ancienne version récente, mais du Old Man Logan que nous avons retrouvé à l'occasion des Secret Wars. Jeff Lemire ne dément pas ce que nous savons de lui, à savoir qu'il n'a pas son pareil pour rendre attachant un héros, ou un individu des plus communs, en quelques pages et deux trois idées phares. Ici, il ramène notre vieux Logan en plein Times Square, et ses souvenirs remontent peu à peu à la surface. Pas assez vite pour éviter le contact avec la police et d'éviter de s'enfuir comme un criminel, mais suffisamment pour que le lecteur comprenne bien ce qui se passe sous ses yeux, et à quel point les réjouissances vont être savoureuses. Comme vous le savez probablement si vous avez dévoré le Old Man Logan de Mark Millar, le héros a vécu des heures tragiques dans ce qui apparaît pour nous comme un futur hypothétique. A son époque, les vilains de l'univers Marvel ont fini par s'entendre, et se débarrasser de tous les redresseurs de torts qui leur barraient la route. Pire encore, le griffu a trucidé ses compagnons d'armes X-Men, victime d'un subterfuge horrible escogité par Mysterio, le maître des illusions. Wolverine avait fini par fonder un foyer, trouver l'amour et avoir deux enfants, et pour préserver ce fragile équilibre au sein d'un quotidien pourtant difficile et sordide, il avait décidé de ne plus sortir les griffes, de renoncer définitivement à se battre, quitte à encaisser les pires humiliations, comme de voir son propre fils molesté sous ses yeux. Mais à force de contenir et d'intérioriser toute cette violence, l'animal qui sommeille en lui depuis toujours n'attendait que le bon moment pour rugir, et bondir.
La goutte d'eau qui fait déborder le vase, ce sont les enfants et petits enfants de Bruce Banner (Hulk donc) qui en sont la cause, dans ce futur, en massacrant la famille de Logan. Une fois revenu en arrière, à notre époque donc, Wolverine (la version agée bien sur) n'a qu'une seule obsession en tête, faire payer tous ceux qui sont responsables de son état, avant que l'inévitable ne se produise. Il part donc sur les traces de ceux qu'il convient de passer par les griffes, avant que le futur ne dégénère en ce qu'il a connu. Oui mais voilà, ce dernier est-il déjà écrit, est-ce vraiment inéluctable? Et des héros comme Steve Rogers, Hulk (Amadeux Cho) ou Kate Bishop, vont-ils lui prêter main forte, ou l'arrêter dans croisade vengeresse?
Nous lisons là une excellente série, d'autant plus que c'est Andrea Sorrentino qui officie aux dessins. Bref, des pages expressionnistes, vivantes, violentes, agressives, qui explosent la rétine et suintent l'adrénaline par chaque case, avec un découpage cahotique et nerveux. Le récit s'articule autour de deux axes : le présent et le passé, avec un long flash-back qui permet de comprendre à quel point Logan aimait sa famille, son fils, et combien il tenait autrefois (c'est à dire dans le futur, pour notre temps...) à maintenir son voeu le plus cher, à savoir ne plus sortir les griffes et contenir la violence qu'il abrite. Sorrentino nous épate et transcende le story-telling avec une utilisation extrême des contrastes, en assimilant les onomatopées et la structure même de ses vignettes au récit en soi. Une leçon magistrale. Une scène de toute beauté, avec le Old Man Logan qui se retrouve face à son "moi" du passé, figé pour l'éternité dans l'adamantium, rend tout à coup le plus bel hommage possible au destin funèbre d'un héros trop vite disparu, et sans panache. On se surprend à penser qu'il s'agit là probablement de la meilleure aventure de Wolverine publiée depuis le début du XXI ° siècle, ce que nous voulions tous lire un jour, sans plus oser l'espérer. Jeff Lemire a remis tous les compteurs à zéro, a su comprendre et mettre en scène la véritable essence d'un héros par trop dénaturé, et il bénéficie de l'aide graphique d'un artiste émergent, dont le talent indéniablement stupéfiant. Si avec tout ceci vous hésitez encore, je rends mon tablier et me consacre au jardinage, tiens. Old Man Logan est simplement indispensable.
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