Un dimanche, avec la permission de ses parents, j’invitai William à l’Ermitage Saint-Antoine de Lac-Bouchette. À l’entrée de l’église, une prière était inscrite sur un carton géant, et les chrétiens devaient s’agenouiller devant et prononcer la prière pour que le saint agisse.
Évidemment, William s’exécuta dès qu’il aperçut le carton.
Ô grand saint Antoine, apôtre plein de bonté, qui avez reçu de Dieu le privilège de faire retrouver les objets perdus…
— J’ai perdu ma santé ! C’est ça que j’ai perdu ! C’est pas des clés ou un dollar, mais je l’ai perdue pareil, s’écria-t-il.
— Ça va, William. Tu écriras cela sur ton papier tout à l’heure, lui soufflai-je tout bas en entrant dans l’église.
— Je peux écrire sur le papier qu’il retrouve ma santé même si ça ne se touche pas ? chuchota-t-il tout bas.
Il relut la prière à voix haute en insérant le mot « SANTÉ » sur la ligne où il fallait écrire un mot. Même s’il s’efforçait de chuchoter, il lut sa prière avec une si haute intensité que la moitié des gens qui se recueillaient dans l’église se retournèrent, attendris par la sincère prière de l’enfant.
— Alors, qu’est-ce que j’écris à Padoue ?
— Tu écris SANTÉ. Ça ira !
— Est-ce qu’il corrige les fautes, le Padoue ?
— Non. Il se fout des fautes.
— Des fois, je fais des fautes. Santé, est-ce que ça prend un e à la fin ?
— Non, c’est S-A-N-T-É. Pas de E à la fin, lui murmurai-je.
Il se grattait le front avec le crayon. Comme il était mignon !
— Est-ce que je peux ajouter un autre mot ?
— Tu écris tout ce que tu veux, William.
Je le vis écrire le mot « argent ». J’avais tellement envie de rire. Après quelques secondes où je fis semblant de me recueillir, je repris sur moi.
— Il y a des fautes ?
— Non, William, le Bon Dieu ne regarde pas les fautes.
— C’est pas Dieu, c’est Padoue qui va le lire !
— Non, William, tout est parfait. C’est ta demande à toi et tu l’écris comme tu veux, lui marmonnai-je pendant que je rédigeais ma propre demande pour la glisser dans l’urne munie d’une fente comme une tirelire.
— Toi, tu écris quoi au saint Antoine ?
— D’habitude, je n’ai pas le droit de dévoiler mon secret, mais pour toi, c’est différent. Je lui demande de te guérir.
— Je peux lire ton papier avant que tu le mettes dans la boîte ? me supplia-t-il.
— Dépêche-toi pour que les gens ne nous trouvent pas tricheurs.
— MERCI, BON DIEU… DE GUÉRIR LA LUCIMIE DE MON GRAND AMI WILLIAM, lut-il avec une voix assez forte pour émouvoir la dame agenouillée dans un banc près de nous.
La personne âgée souleva timidement les yeux et me sourit avec une moue tendre et riche de compassion. Sans que nous nous soyons entendues, je présumai qu’elle poursuivit sa prière quotidienne en la dédiant à mon jeune ami. Je la vis secouer son chapelet avec des mains tremblantes et grouillantes de compassion.
Toujours agenouillés tous deux devant les cierges, je discutais tout bas avec William pendant que le prêtre, qui allait célébrer la cérémonie du jour et qui avait entendu les mots de William, se dirigeait solennellement vers nous.
— Saint Antoine va te donner davantage de force et de courage pour affronter les épreuves que tu dois surmonter à cause de ta maladie, lui expliqua le prêtre avec une main sur sa tête.
Comme il était passé saluer William avant de monter pour commencer à chanter sa messe, il prononça une prière avec sa main sur sa tête.
Après la visite dans l’église, nous sortîmes. Dehors, des statues étaient installées pour représenter les 14 stations du Chemin de la Croix de Jésus. Nous marchâmes tout le parcours et nous assîmes sur un banc, près de la statue qui représentait le Christ qui venait de mourir sur la croix.
— Il a dû souffrir beaucoup avec des clous dans ses mains et dans ses pieds. Des fois, sur des images, il saigne beaucoup, soupira William.
— C’est une bien triste histoire, admis-je.
— Il a dit quoi, Jésus, avant de mourir ?
— Selon ce que je me rappelle de l’histoire sainte, je crois qu’il a dit : « Tout est achevé. Père, entre tes mains je remets mon esprit. » Et il a incliné sa tête.
— Après, il y a eu un gros orage électrique. Il y avait des gros boums dans le ciel et les méchants soldats ont compris que Jésus était le Bon Dieu, ajouta William tout en balançant ses jambes et en savourant la crème glacée que je venais de lui offrir.
— Je ne pense pas qu’il était électrique, l’orage.
— Ah non ? Pourquoi ?
— L’électricité n’existait pas dans le temps de Jésus.
Devant ma boutade, à laquelle il se retint de répliquer pour ne pas rire, il me fit une grimace en pétaradant avec sa langue et descendit jusqu’au sentier en courant pour aller toucher à l’imposant rocher qui avait été déplacé par Victor Delamarre.
— C’est un homme qui a déplacé cette grosse roche ? s’étonna-t-il.
— Oui, c’est Victor Delamarre.
— Victor de la Mort ? Comme la mort ?
— Non ! Ça s’écrit DE LA MARRE… Ça s’écrit comme une mare de canards avec deux R, lui prononçai-je lentement.
L’enfant voulut tout savoir des exploits de cet homme fort qui avait vécu près de chez lui.
— On raconte qu’avec deux doigts il pliait des pièces de monnaie et des clous. On dit aussi qu’il avait soulevé des voitures, lui racontai-je.
— Wow ! s’exclama-t-il en admirant une photographie de l’homme.
Lors de cette visite, je lui racontai les grands personnages qui avaient été reconnus pour leur force surnaturelle ou leur rare talent. Comme une encyclopédie feuilletée au hasard, je lui parlai de la force herculéenne de Louis Cyr, de la vitesse incroyable d’Alexis le Trotteur, de la magie d’Houdini et de l’art unique de la belle Marina Abramovic.
— C’est une artiste serbe bien étrange qui s’amuse avec les barrières des capacités de l’humain.
— Elle a fait quoi ?
— Plein de numéros étranges.
— Le plus gros que tu sais, c’est quoi ?
— Avec son amoureux, elle à un bout et lui à l’autre bout, ils ont marché 2000 kilomètres sur la Grande Muraille de Chine.
Ils voulaient se rejoindre et ils se sont embrassés en plein centre après plusieurs mois de marche.
— Pourquoi ils ont fait ça ?
— Je ne sais pas.
— Après ?
— Après quoi ?
— Après le baiser, il s’est passé quoi ?
— Ils se sont quittés et ne se sont plus jamais revus.
— C’est fou, ton histoire. Ça me met tout à l’envers quand je ne comprends pas les choses. Ne me raconte plus des histoires comme celle-là, plus jamais ! m’ordonna William le plus sérieusement du monde. Visiblement angoissé devant l’absurdité de la conclusion de l’histoire de ce couple, William avait sans doute analysé la morale à sa façon. Le soir même, j’écrivis la pensée de William quant à cette éternelle et inutile marche sur la Grande Muraille de Chine, quant à ces efforts qui n’avaient mené à rien d’autre qu’à rien ! Les deux amoureux avaient travaillé très fort et leurs efforts surhumains n’avaient mené à rien, sinon qu’à une rupture douloureuse et inattendue.
Notice biographique
Née à Roberval en 1969, Chantale Potvin enseigne le français de 5esecondaire depuis 1993. Elle a publié cinq romans soit :
-Le génocide culturel camouflé des indiens
-Ta gueule, maman
-Les dessous de l’intimidation
-Des fleurs pour Rosy
-T’as besoin de moi au ciel ?