Je cherche souvent des phrases de titres qui illustrent la lecture du jour et le billet qui en découle. Je dois dire que, aujourd'hui, vous êtes gâtés, puisqu'on ajoute même une fenêtre sur le style ! Rassurez-vous, ce n'est pas tout le temps comme ça, je parle du vocabulaire (quoi que...), en revanche, le rythme, avec ces phrases courtes, cinglantes, et ce côté très dur sont une des marques de fabrique de l'auteur. Un écrivain hongrois, Szilárd Borbély, universitaire, traducteur, mais surtout poète, qui a publié un unique roman, en 2013, peu de temps avant sa mort : "la miséricorde des coeurs", que Folio vient de rééditer en poche. Un roman sombre, oppressant, violent, aussi, mais d'une incroyable précision quant à la vie quotidienne dans la Hongrie rurale de la fin des années 1960... Un sacré baptême du feu pour moi qui n'avais encore jamais lu d'auteur hongrois...
Le narrateur est un jeune garçon dont la famille vit dans un village de la campagne hongroise. Il a une soeur aînée, la Grande. Lui, c'est le Garçon, et son petit frère, encore nourrisson, c'est le Petit, on en saura pas plus sur leur identité. D'ailleurs on sait peu de choses sur à peu près tout, lorsqu'on entre dans la lecture. Il faudra déduire du récit du Garçon pas mal d'informations.
Par exemple, l'époque : aucune date n'est donnée, mais on apprend qu'on est une douzaine d'années après le soulèvement de 1956, réprimé par les chars soviétiques. De la même façon, les éléments sur cette famille et ses conditions de vie vont apparaître au fur et à mesure du roman, parfois tardivement, afin de nous aider à comprendre le mal-être que l'on ressent.
La famille du Garçon, on le comprend vite, est un peu au ban du village. La mère s'occupe de la maison, du lopin de terre et des quelques animaux qu'elle y élève, et le père, lui, peine à trouver du travail. Il y a pourtant un kolkhoze, dans le village, une de ces coopératives agricoles chères au système soviétique, mais on ne veut pas de lui, là-bas.
Pourquoi ce rejet ? Les raisons vont apparaître progressivement et elles sont liés aux origines des parents du Garçon. La plus logique, c'est que le père et la mère sont issus de familles de koulaks, autrement dit, des propriétaires terriens avant l'avènement du régime communiste. Des exploiteurs qu'on tient désormais à l'écart.
Mais, ce n'est pas tout. D'autres raisons vont apparaître : des questions ethniques, dans une région aux frontières complètement redécoupées après la Première Guerre Mondiale, par toute une série de traités, découlant de celui de Versailles. Des populations ont changé de pays du jour au lendemain, ou presque, tout en appartenant à une autre culture.
C'est le cas de certaines populations roumaines qui se sont retrouvées hongroises sans rien avoir demandé et qui, du coup, ont été accueillies froidement par leurs nouveaux compatriotes. La langue posait problème, la culture, donc, mais aussi la religion, entre protestants et orthodoxes... Bref, une belle cacophonie dont la famille du Garçon a pâti.
Enfin, dernier point, le Père est le fils d'un juif, le dernier juif du village, le seul revenu de déportation, situation que l'on comprend à demi-mots, mais qui rappelle que la communauté juive de Hongrie a été quasiment éradiquée sous le nazisme... Le régime a changé, mais pas l'antisémitisme, très présent, et qui vaut à la famille bien des moqueries et cette exclusion tacite.
La famille est rabaissée au rang des Tziganes, qui vivent dans leur propre quartier, aux allures de ghettos, rejetés par tous... Là encore, des questions fortes qui sont posées, presque comme des évidences, mais alimentant l'impression d'oppression et d'intolérance dans lequel baigne tout le livre de Szilárd Borbély.
Avec ces éléments, vous comprenez donc que le Garçon ne grandit pas dans les conditions les plus agréables... On survit comme on peut, on essaye de manger à sa faim tous les jours, mais rien n'est facile. Il faut aller vendre des animaux dans d'autres villages où on ne les rejette pas, il faut saisir le moindre emploi, même le plus dégradant...
Le Père est de moins en moins présent, obligé d'aller gagner sa vie dans un village où on veut bien de lui, mais c'est dur. Et, lorsqu'il lui arrive de rentrer, c'est le plus souvent en état d'ébriété avancé... Quant à la Mère, elle se montre assez autoritaire avec ses enfants ou cède, brusquement, à des crises de désespoir violent, où elle pourrait attenter à ses jours...
Oui, le portrait que je dresse est noir, violent, parfois cruel, aussi, en particulier dans la manière de traiter les animaux, mais aussi dans certains rapports humains. Au sein de la famille, les sentiments n'apparaissent pas évidents. Il faudra d'ailleurs attendre la dernière partie du livre pour découvrir des mots enfin chargés de sentiments positifs de la part du Garçon...
Ce dernier décrit, en phrases courtes, saccadées, sobres, la vie quotidienne dans cette maison qu'on sent placée à l'écart. C'est très descriptif, presque des saynètes mises bout à bout, mais qui permettent de comprendre les difficultés de la famille, l'état de nerf dans lequel se trouve les parents et l'incompréhension de l'enfant face à ces histoires d'adultes.
On croise bien sûr d'autres personnages, membres des familles des parents, en particulier celle de la mère, "amis", si l'on peut dire, habitants du village et travailleurs du kolkhozes. Et, au fil de ces histoires, on a l'impression de se retrouver dans une version magyare d' "Affreux, sales et méchants". Le côté satirique en moins.
La vie n'est déjà pas rose, alors, lorsqu'en plus, on doit supporter les brimades, les quolibets, les insultes, ce qu'il faut bien appeler des agressions, ça devient épouvantable. La Mère n'a de cesse de vouloir partir, sans doute pour la ville, où ils se fondraient mieux dans la masse, mais le Père, lui, baisse la tête, se saoule et se résigne...
Ne vous attendez pas à découvrir une histoire, une intrigue, non, "la miséricorde des coeurs", c'est d'abord une chronique, minutieuse, précise, sans doute nourrie d'expérience, de ce quotidien étouffant. Le thème central, il est là, à plusieurs reprises, on le croise, dans les mots de la Mère, mais aussi dans ceux du Garçon : être libres !
La famille n'est pas prisonnière d'un carcan, mais de toute une série, je les ai énumérés plus tôt. On le devine, le dernier de ces carcans, c'est le régime communiste en place à Budapest. Avec un certain paradoxe, tout de même : on sent bien que, depuis 1956, il y a eu une reprise en main, quelques tours de vis (et, à cette période, la Hongrie enverra des troupes écraser le Printemps de Prague, sinistre écho...).
Pourtant, on se dit que le régime hongrois n'est pas le plus écrasant des régimes du bloc de l'est. Là encore, je digresse, mais cette période de la fin des années 1960 n'est pas anodine : János Kádár, le chef de l'Etat hongrois depuis 1956, assouplit la mainmise communiste dans différents domaines, l'économie, en premier lieu, mais aussi, dans la pratique religieuse.
J'en parle car on le voit dans le livre : les fêtes religieuses et le culte ordinaire sont régulièrement évoqués et se déroulent sans anicroche, ce qui peut surprendre dans un pays qui devrait promouvoir un athéisme d'Etat. On est donc à la fois dans une période de transition qui va faire de la Hongrie un pays à part lors de la chute du rideau de fer, mais, dans le même temps, dans une dictature.
L'écriture sèche, presque aride, de Szilárd Borbély vient parfaitement servir ce propos. C'est clinique, presque mécanique, dénué d'affect. Mais pas de sentiment. Le Garçon souffre de tout cela, comme sa mère et son père souffrent d'être ainsi ostracisés. Mais comment le manifester, l'exprimer ? Il y a un fatalisme profond chez le Garçon, qui va le suivre une fois devenu adulte.
On ressent cette tristesse, cette révolte, mais cela ne sort pas. Et, de toute façon, pour quels résultats ? Le plus terrible est là. En quatrième de couverture, parmi les références de Borbély, on trouve par exemple Franz Kafka. On retrouve dans "la Miséricorde des coeurs" ce côté inéluctable des choses qui broie l'individu sans que celui-ci puisse trouver une parade.
Oui, la quête de liberté du Garçon et de sa Mère, particulièrement, est réelle, clairement évoquée. Mais pour faire quoi, aller où ? Qu-est-ce que la liberté, qu'est-ce qu'être libre ? Autant de questions qui n'ont pas de réponse. Qui n'en ont peut-être pas plus une fois le régime soviétique aboli. Qui en ont peut-être encore moins dans une Hongrie actuelle aux relents xénophobes si inquiétants...
Szilárd Borbély s'est suicidé en février 2014, à l'issue d'une longue période de dépression. Je ne vais pas jouer les psychologues de bazar en vous disant qu'on peut sentir cet état d'esprit tourmenté et au bord du gouffre dans le livre. Il y a pourtant certainement de cela dans cette noirceur profonde, cette impression d'enfermement qu'on ne peut conjurer...
Sur le site de l'éditeur Christian Bourgois, qui a publié en grand format "la Miséricorde des coeurs" (publication posthume, pour cette version française), on lit quelques mots du Prix Nobel hongrois Imre Kertész, citant une lettre qui lui a adressée Szilárd Borbély : "L'effrayante situation de notre pays. j'ai le sentiment, j'ai l'intuition de vivre dans une société malade qui rend ses membres malades"...
Kertész qualifié ensuite Borbély de poète perdu, comme un écho à un Nerval, par exemple. Comme si Szilárd Borbély était un Desdichado de Debrecen, "le Ténébreux, le veuf, l'inconsolé", comme si sa seule étoile était morte et que son luth constellé portait le soleil noir d'une mélancolie qui ne disparaîtra jamais...
Borbély parle d'une époque de plus en plus éloignée, presque un demi-siècle, désormais. Et pourtant, on ne peut s'empêcher de dire que le constat qu'il fait à propos de la Hongrie communiste d'hier peut parfaitement s'appliquer à la Hongrie actuelle, depuis l'arrivée au pouvoir du triste sire Viktor Orbán...
"La miséricorde des coeurs" n'est pas un roman facile, c'est une lecture exigeante qui en déroutera forcément certains. Mais, c'est probablement un livre parfait pour comprendre (documentation extérieure à l'appui, tout de même) les maux actuels de la Hongrie, qui ne sont sans doute que les conséquences des turbulences rencontrées par ce pays depuis un siècle.
Mais, aucune solution à tout cela n'apparaît, et c'est aussi sans doute ce qui minait l'écrivain...
Le narrateur est un jeune garçon dont la famille vit dans un village de la campagne hongroise. Il a une soeur aînée, la Grande. Lui, c'est le Garçon, et son petit frère, encore nourrisson, c'est le Petit, on en saura pas plus sur leur identité. D'ailleurs on sait peu de choses sur à peu près tout, lorsqu'on entre dans la lecture. Il faudra déduire du récit du Garçon pas mal d'informations.
Par exemple, l'époque : aucune date n'est donnée, mais on apprend qu'on est une douzaine d'années après le soulèvement de 1956, réprimé par les chars soviétiques. De la même façon, les éléments sur cette famille et ses conditions de vie vont apparaître au fur et à mesure du roman, parfois tardivement, afin de nous aider à comprendre le mal-être que l'on ressent.
La famille du Garçon, on le comprend vite, est un peu au ban du village. La mère s'occupe de la maison, du lopin de terre et des quelques animaux qu'elle y élève, et le père, lui, peine à trouver du travail. Il y a pourtant un kolkhoze, dans le village, une de ces coopératives agricoles chères au système soviétique, mais on ne veut pas de lui, là-bas.
Pourquoi ce rejet ? Les raisons vont apparaître progressivement et elles sont liés aux origines des parents du Garçon. La plus logique, c'est que le père et la mère sont issus de familles de koulaks, autrement dit, des propriétaires terriens avant l'avènement du régime communiste. Des exploiteurs qu'on tient désormais à l'écart.
Mais, ce n'est pas tout. D'autres raisons vont apparaître : des questions ethniques, dans une région aux frontières complètement redécoupées après la Première Guerre Mondiale, par toute une série de traités, découlant de celui de Versailles. Des populations ont changé de pays du jour au lendemain, ou presque, tout en appartenant à une autre culture.
C'est le cas de certaines populations roumaines qui se sont retrouvées hongroises sans rien avoir demandé et qui, du coup, ont été accueillies froidement par leurs nouveaux compatriotes. La langue posait problème, la culture, donc, mais aussi la religion, entre protestants et orthodoxes... Bref, une belle cacophonie dont la famille du Garçon a pâti.
Enfin, dernier point, le Père est le fils d'un juif, le dernier juif du village, le seul revenu de déportation, situation que l'on comprend à demi-mots, mais qui rappelle que la communauté juive de Hongrie a été quasiment éradiquée sous le nazisme... Le régime a changé, mais pas l'antisémitisme, très présent, et qui vaut à la famille bien des moqueries et cette exclusion tacite.
La famille est rabaissée au rang des Tziganes, qui vivent dans leur propre quartier, aux allures de ghettos, rejetés par tous... Là encore, des questions fortes qui sont posées, presque comme des évidences, mais alimentant l'impression d'oppression et d'intolérance dans lequel baigne tout le livre de Szilárd Borbély.
Avec ces éléments, vous comprenez donc que le Garçon ne grandit pas dans les conditions les plus agréables... On survit comme on peut, on essaye de manger à sa faim tous les jours, mais rien n'est facile. Il faut aller vendre des animaux dans d'autres villages où on ne les rejette pas, il faut saisir le moindre emploi, même le plus dégradant...
Le Père est de moins en moins présent, obligé d'aller gagner sa vie dans un village où on veut bien de lui, mais c'est dur. Et, lorsqu'il lui arrive de rentrer, c'est le plus souvent en état d'ébriété avancé... Quant à la Mère, elle se montre assez autoritaire avec ses enfants ou cède, brusquement, à des crises de désespoir violent, où elle pourrait attenter à ses jours...
Oui, le portrait que je dresse est noir, violent, parfois cruel, aussi, en particulier dans la manière de traiter les animaux, mais aussi dans certains rapports humains. Au sein de la famille, les sentiments n'apparaissent pas évidents. Il faudra d'ailleurs attendre la dernière partie du livre pour découvrir des mots enfin chargés de sentiments positifs de la part du Garçon...
Ce dernier décrit, en phrases courtes, saccadées, sobres, la vie quotidienne dans cette maison qu'on sent placée à l'écart. C'est très descriptif, presque des saynètes mises bout à bout, mais qui permettent de comprendre les difficultés de la famille, l'état de nerf dans lequel se trouve les parents et l'incompréhension de l'enfant face à ces histoires d'adultes.
On croise bien sûr d'autres personnages, membres des familles des parents, en particulier celle de la mère, "amis", si l'on peut dire, habitants du village et travailleurs du kolkhozes. Et, au fil de ces histoires, on a l'impression de se retrouver dans une version magyare d' "Affreux, sales et méchants". Le côté satirique en moins.
La vie n'est déjà pas rose, alors, lorsqu'en plus, on doit supporter les brimades, les quolibets, les insultes, ce qu'il faut bien appeler des agressions, ça devient épouvantable. La Mère n'a de cesse de vouloir partir, sans doute pour la ville, où ils se fondraient mieux dans la masse, mais le Père, lui, baisse la tête, se saoule et se résigne...
Ne vous attendez pas à découvrir une histoire, une intrigue, non, "la miséricorde des coeurs", c'est d'abord une chronique, minutieuse, précise, sans doute nourrie d'expérience, de ce quotidien étouffant. Le thème central, il est là, à plusieurs reprises, on le croise, dans les mots de la Mère, mais aussi dans ceux du Garçon : être libres !
La famille n'est pas prisonnière d'un carcan, mais de toute une série, je les ai énumérés plus tôt. On le devine, le dernier de ces carcans, c'est le régime communiste en place à Budapest. Avec un certain paradoxe, tout de même : on sent bien que, depuis 1956, il y a eu une reprise en main, quelques tours de vis (et, à cette période, la Hongrie enverra des troupes écraser le Printemps de Prague, sinistre écho...).
Pourtant, on se dit que le régime hongrois n'est pas le plus écrasant des régimes du bloc de l'est. Là encore, je digresse, mais cette période de la fin des années 1960 n'est pas anodine : János Kádár, le chef de l'Etat hongrois depuis 1956, assouplit la mainmise communiste dans différents domaines, l'économie, en premier lieu, mais aussi, dans la pratique religieuse.
J'en parle car on le voit dans le livre : les fêtes religieuses et le culte ordinaire sont régulièrement évoqués et se déroulent sans anicroche, ce qui peut surprendre dans un pays qui devrait promouvoir un athéisme d'Etat. On est donc à la fois dans une période de transition qui va faire de la Hongrie un pays à part lors de la chute du rideau de fer, mais, dans le même temps, dans une dictature.
L'écriture sèche, presque aride, de Szilárd Borbély vient parfaitement servir ce propos. C'est clinique, presque mécanique, dénué d'affect. Mais pas de sentiment. Le Garçon souffre de tout cela, comme sa mère et son père souffrent d'être ainsi ostracisés. Mais comment le manifester, l'exprimer ? Il y a un fatalisme profond chez le Garçon, qui va le suivre une fois devenu adulte.
On ressent cette tristesse, cette révolte, mais cela ne sort pas. Et, de toute façon, pour quels résultats ? Le plus terrible est là. En quatrième de couverture, parmi les références de Borbély, on trouve par exemple Franz Kafka. On retrouve dans "la Miséricorde des coeurs" ce côté inéluctable des choses qui broie l'individu sans que celui-ci puisse trouver une parade.
Oui, la quête de liberté du Garçon et de sa Mère, particulièrement, est réelle, clairement évoquée. Mais pour faire quoi, aller où ? Qu-est-ce que la liberté, qu'est-ce qu'être libre ? Autant de questions qui n'ont pas de réponse. Qui n'en ont peut-être pas plus une fois le régime soviétique aboli. Qui en ont peut-être encore moins dans une Hongrie actuelle aux relents xénophobes si inquiétants...
Szilárd Borbély s'est suicidé en février 2014, à l'issue d'une longue période de dépression. Je ne vais pas jouer les psychologues de bazar en vous disant qu'on peut sentir cet état d'esprit tourmenté et au bord du gouffre dans le livre. Il y a pourtant certainement de cela dans cette noirceur profonde, cette impression d'enfermement qu'on ne peut conjurer...
Sur le site de l'éditeur Christian Bourgois, qui a publié en grand format "la Miséricorde des coeurs" (publication posthume, pour cette version française), on lit quelques mots du Prix Nobel hongrois Imre Kertész, citant une lettre qui lui a adressée Szilárd Borbély : "L'effrayante situation de notre pays. j'ai le sentiment, j'ai l'intuition de vivre dans une société malade qui rend ses membres malades"...
Kertész qualifié ensuite Borbély de poète perdu, comme un écho à un Nerval, par exemple. Comme si Szilárd Borbély était un Desdichado de Debrecen, "le Ténébreux, le veuf, l'inconsolé", comme si sa seule étoile était morte et que son luth constellé portait le soleil noir d'une mélancolie qui ne disparaîtra jamais...
Borbély parle d'une époque de plus en plus éloignée, presque un demi-siècle, désormais. Et pourtant, on ne peut s'empêcher de dire que le constat qu'il fait à propos de la Hongrie communiste d'hier peut parfaitement s'appliquer à la Hongrie actuelle, depuis l'arrivée au pouvoir du triste sire Viktor Orbán...
"La miséricorde des coeurs" n'est pas un roman facile, c'est une lecture exigeante qui en déroutera forcément certains. Mais, c'est probablement un livre parfait pour comprendre (documentation extérieure à l'appui, tout de même) les maux actuels de la Hongrie, qui ne sont sans doute que les conséquences des turbulences rencontrées par ce pays depuis un siècle.
Mais, aucune solution à tout cela n'apparaît, et c'est aussi sans doute ce qui minait l'écrivain...