Kenzaburô Ôé : Une Affaire personnelle

Par Lebouquineur @LBouquineur

Kenzaburô Ôé est né en 1935 dans l'île de Shikoku au Japon. Il étudie la littérature française et soutient une thèse sur Jean-Paul Sartre. Ses premiers textes paraissent dans les années 1950 et en 1958 il reçoit le prix Akutagawa, l'équivalent du prix Goncourt, pour Gibier d'élevage. Son œuvre, romans, nouvelles et essais, le place au premier rang de la littérature japonaise et lui vaut le prix Europalia en 1989, avant de recevoir le prix Nobel de littérature en 1994.

Une affaire personnelle, paru en 1964, est effectivement un roman très personnel pour l’écrivain puisqu’inspiré de la naissance de son fils handicapé, l’année précédente.

Bird, le héros de ce roman, vingt-sept ans, est répétiteur dans une boîte à bachot et sa femme vient d’accoucher de leur premier enfant, atteint d’une malformation, « Le cerveau fait saillie par une brèche du crâne… », une hernie cérébrale.

Le roman se déroule durant les trois jours qui suivent, décrivant les tourments moraux par lesquels passera Bird concernant l’avenir éventuel de cet enfant. La mère n’est pas précisément informée, son enfant ayant été éloigné pour un soi-disant petit problème de santé. Le héros du bouquin n’est pas franchement sympathique, ancien alcoolique, il paraît très éloigné de la vie concrète – il rêve d’un voyage en Afrique, projet à priori inabordable pour lui -, toujours mal à l’aise, peu sûr de lui, on a l’impression qu’il glande, refusant de se colleter avec la réalité, égoïste (« Bird, penses-tu jamais à quoi que ce soit, en dehors de toi-même ? »), lâche aussi (« Je me demande, dit-elle, si tu n’es pas le genre d’hommes qui abandonnent ceux qui ont le plus besoin d’eux… »). Du moins est-ce le portrait qui se dessine en creux au vu de ses hésitations ou des réflexions émises par les autres.  

Délaissant sa femme encore en clinique et veillée par sa mère, il renoue avec une ancienne amie, Himiko, veuve d’un mari suicidé, et qui mène désormais une vie très libre… ce qui nous vaut une scène très Empire des Sens (film de Nagisa Oshima, 1976). On notera que Kenzaburô Ôé appelle un chat, un chat, et ne s’embarrasse pas de pudeurs ou de détours pour décrire, du vomi ou autres détails du genre. Sexe avec Himiko mais compliqué par l’état psychologique de Bird, ce qui étend le domaine d’activité de la jeune femme devenue sa confidente, voire psychanalyste, n’hésitant pas à s’engager à son côté pour l’aider à résoudre son dilemme : « je ne suis ni assez diabolique pour étrangler ce bébé de mes mains ni assez angélique pour mobiliser une armée de médecins et les supplier de sauver la vie d’un enfant condamné à être un monstre… »

Je tairai la fin du roman pour vous en laisser la surprise ( ?) mais disons que Bird, saura in extremis, se racheter des défauts qu’on pouvait lui attribuer jusque là.

Roman japonais, donc traité à la japonaise : le lecteur se sent toujours à l’extérieur, comme voyeur d’une intrigue qui le désarçonne un peu car rédigée d’une manière tellement différente de ce qu’en aurait écrit un écrivain occidental, ici pas de larmes ou d’émotions dégoulinantes, absence d’empathie ou plus exactement, des liens entre les acteurs hors de nos schémas culturels. Du coup le bouquin parait un peu fade à le lire, ne prenant de l’ampleur qu’une fois terminé quand le lecteur se le remémore et le traduit dans ses propres mots et sentiments. C’est aussi ça l’intérêt de la littérature, nous permettre des incursions dans les mentalités étrangères.