Sans être aussi foudroyant que je me l'étais figurée, Parmi les dix milliers de choses a constitué une lecture agréable. Cela dit, je ne peux pas blâmer l'auteur si je me fais moi-même une montagne de son oeuvre avant de l'avoir lue, simplement parce que je suis beaucoup trop influençable et que les critiques élogieuses sont pour moi promesse d'une épiphanie littéraire.
Bref, revenons-en au roman de Julia.
On peut dire, avant tout, qu'il est talentueux, en particulier lorsque l'on sait qu'il s'agit d'un premier roman, et cela parce que l'intrigue et le rythme sont maîtrisés.
L'autre observation majeure, c'est qu'il s'inscrit dans la ligne d'une certaine littérature américaine actuelle, qui raconte une classe sociale particulière, en se fixant sur le quotidien, sur la complexité et l'ambiguïté des relations, et prend soin de ne jamais livrer de regard moralisateur sur les faits.
J'ai pensé en lisant à Franzen et Wolitzer, découverts il y a peu, et par extension, à J. Courtney Sullivan et Joyce Maynard, ou, enfin, au grand Wally Lamb.
On suit donc les pérégrinations, interactions et errances de nos quatre protagonistes, dont la vie change subitement sous l'impulsion d'une cinquième protagoniste, absente, et dont l'ombre tutélaire règne dans le récit, sans qu'il ne nous soit donné d'en savoir plus à son sujet.
J'ai apprécié la maturité et le recul avec lesquels est traité le délicat sujet de l'éclatement familial suite à l'adultère. Il est précieux de ne pas se voir asséner de jugements à l'emporte-pièce, qui pavent la littérature de comptoir comme les forums en ligne dès lors qu'il en est question. Au contraire, si les vues et les émotions des protagonistes sont analysées et confrontées, toutes les ambivalences en sont intelligemment retranscrites, de sorte que l'on assiste à cette autopsie familiale en voyant chacun évoluer en solitaire, en proie à des sentiments souvent confus et contradictoires.
Les enfants sont déchirés entre l'amour qu'ils ont toujours porté à leur père, et la trahison dont ils se sentent inévitablement victimes, alors même qu'ils pourraient ne pas se sentir concernés par ce qui est avant tout du domaine du couple.
La mère, Deb, est elle aussi le terrain de réactions vives et paradoxales, sachant qu'elle doit encourager le maintien d'une relation entre ses enfants et leur père, et désirant néanmoins intérieurement qu'ils partagent avec elle le sentiment d'abandon, de la déloyauté.
Rien n'est simple, si bien que l'auteur a tout le loisir de dévoiler ces couches de pensées sans que le lecteur ne soit frappé d'ennui, et y parvient avec brio, alors que le sujet pourrait paraître terriblement banal, au point que l'on doute qu'il soit assez intéressant pour qu'on lui consacre un roman.
Julia Pierpont démontre combien il est légitime de se pencher dessus, et adroit de le restituer fidèlement, dans toute sa pluralité.
"Mais ce n'était pas ce qu'elle cherchait - le sexe. Ca n'avait jamais été son but. Les femmes le trompaient toujours sur leurs intentions. Il n'était jamais à la hauteur de leurs attentes."
"La fin n'est jamais une surprise. Les gens disent, Ne me raconte rien, Ne me gâche pas le plaisir, puis, plus tard, ils disent, Si j'avais su. Des nuits passées dans de vieux salons, sur des canapés-lits non dépliés, la lumière qui se réfléchit sur le miroir qui vous surprend toujours. Nous pensons vivre notre vie dans un entre-deux, après ceci et avant cela, mais c'est l'entre-deux qui a duré."
""_C'est juste que je ne vois pas où est le problème.
_A quel sujet?
_Ben, si c'est juste des choses qui arrivent. Je ne comprends pas pourquoi il faut qu'on soit si bouleversés.
_Tu n'es pas obligée d'être bouleversée ; je serais contente que tu ne le sois pas.
_Mais je le suis. C'est juste que je ne comprends pas pourquoi." Kay se couvrit le visage des mains et respira par le nez. "C'est stupide.
_Je sais, c'est bizarre. On aimerait croire que ce qu'une personne fait avec une autre personne n'a rien à voir avec nous. Et pourtant, si. C'est pour ça qu'on a établi certaines règles, pour éviter d'être blessé.
[...]
_Pourquoi ils le font s'ils savent que ça va faire mal? Parce que ça fait du bien? C'est ça?"