Nous allons en effet parler magie, enfin un peu, et surtout d'un magicien, l'un des plus célèbres : Harry Houdini. Le voilà qui endosse un rôle nouveau dans une série de polars historiques dont il sera le héros, celui de détective. Le premier volet vient de sortir, un second est attendu au printemps prochain et, si le succès est au rendez-vous, alors, peut-être d'autres enquêtes seront-elles proposées au lecteur. "Metamorphosis", de Vivianne Perret (publié aux éditions du Masque), met donc en scène le jeune Houdini, lors de sa première venue à San Francisco, mais aussi son épouse, Bessie, avec qui il forme un couple inséparable, à la scène comme à la ville. Et, pour ces premiers pas d'enquêteur, c'est dans un univers bien particulier qu'il va devoir plonger : Chinatown. Nul doute que ses talents d'illusionniste seront un atout majeur dans ses investigations, pour démêler un écheveau criminel assez dense...
Nous sommes en 1899. Harry Houdini a 25 ans et il n'est pas encore l'immense star qu'il est appelé à devenir. Mais, son nom commence à être connu sur l'ensemble du territoire américain. Son habileté pour se libérer de toutes les chaînes, de toutes les malles et de toutes les pièces closes se répand comme une traînée de poudre.
Désormais, Harry et sa ravissante épouse, Bess, n'ont plus à se produire dans des salles minables. Ils ont été recrutés par un imprésario pour partir en tournée à travers tout le pays. Ils n'ont pas encore leur spectacle à eux, ils doivent partager l'affiche, mais il est évident que ce sont bien eux qui constituent le clou du spectacle.
Les voici à San Francisco, une première visite dans cette ville portuaire où l'on se réjouit de leur passage. Jusqu'aux commissariats de la ville, dans lesquels on n'hésite pas à le défier en le bardant de chaînes et de menottes, dont il se défait sans broncher et avec le sourire, laissant pantois les braves pandores.
Mais, alors qu'il vient d'arriver dans la ville, un événement dramatique se produit : on retrouve dans le port de la ville le corps d'un homme. Un asiatique qui n'a pas glissé accidentellement dans l'eau, car il a la gorge salement tranchée... Un assassinat sordide et un corps qui, certainement, n'aurait pas dû remonter à la surface...
Houdini a été témoin de la remontée du corps. Il en a même profité pour décourager un jeune pickpocket, Jim Collins, attiré par l'attroupement et qui avait jeté son dévolu sur le magicien... Grave erreur ! Ou plutôt, non, car l'illusionniste va se prendre d'amitié pour cet adolescent dégourdi qui n'a pas eu la vie facile et essaye de s'en sortir comme il peut. Le voilà Pygmalion !
Tout aurait pu en rester là si un Chinois, riche négociant en textile, Ong Lin Foon. n'avait pas choisi d' "inviter" Houdini chez lui... L'homme souhaiterait confier une mission délicate, et surtout discrète, au magicien plutôt qu'à la police de la ville. Sa jeune nièce, arrivée en ville par bateau depuis son pays natal, a disparu depuis une quinzaine de jours...
Il est fort probable qu'on l'ait enlevée et Ong Lin Foon redoute qu'elle soit tombée entre les mains d'un des clans mafieux sévissant à Chinatown. Si c'est le cas, son sort est scellé : la prostitution forcée dans un des bordels de cette ville dans la ville... Un destin auquel on ne survit pas longtemps... Si elle n'est pas déjà morte...
Houdini, qui n'a pourtant rien d'un limier, décide d'accepter la mission comme une sorte de défi personnel. Mais Chinatown est un monde vraiment à part, avec ses lois, ses codes et ses secrets qu'il va lui falloir percer. Dans cette enquête, l'appui de Bessie et de Jim Collins ne seront pas de trop, et les dangers nombreux...
Il y a deux raisons au choix d'Ong Lin Foon. La première, c'est sa passion pour la magie. Il a entendu parler d'Houdini de manière très favorable par un des maîtres de cet art, Ching Ling Foo, et c'est pour cela qu'il s'est adressé à lui. L'autre raison est, hélas, plus triste : le négociant ne fait aucune confiance à la police de San Francisco pour retrouver sa nièce, pour des questions raciales...
Il existe pourtant, au sein de la police de San Francisco, une brigade chargée de s'occuper spécifiquement de Chinatown. A sa tête, se trouve le sergent Cook, qui n'a pas fait mauvaise impression à Houdini, lorsqu'il l'a croisé, peu de temps avant de rencontrer Ong Lin Foon. Bien au contraire : Cook a été contorsionniste avant d'endosser l'uniforme ! Entre artistes, le courant passe.
Mais, comment le marchand chinois pourrait-il penser de même, alors que sa communauté fait l'objet d'une terrible ségrégation ? Depuis 1882, une loi encadre de manière drastique l'immigration chinoise en Amérique. Seuls les diplomates, les étudiants et certains marchands peuvent entrer sur le territoire américain mais il leur est interdit de solliciter la nationalité américaine, de devenir propriétaire immobilier ou encore de s'inscrire dans les écoles...
A leur arrivée à San Francisco, les ressortissants chinois sont placés en quarantaine sur Angel Island, alors que les Occidentaux voyageant sur les mêmes bateaux n'ont pas à se soumettre à ces interminables démarches administratives... Bref, on fait bien comprendre aux Chinois qu'ils ne sont pas les bienvenus...
Le hic, c'est que ce rejet a entraîné un certain nombres d'effets pervers, dont le développement de nombreuses activités clandestines dans Chinatown. Des bandes de malfrats ont mis la main sur ces domaines qui, évidemment, flirtent avec l'illégalité... La prostitution en fait partie et le traitement réservé aux jeunes chinoises arrivées en Amérique sans existence légale est absolument atroce.
Voilà le contexte dans lequel Houdini va être amené à enquêter. Voilà aussi les plates-bandes sur lesquelles le magicien va devoir marcher pour espérer retrouver vivante la nièce d'Ong Lin Foon, au risque de se mettre à dos quelques dangereux chefs de clan... Fougueux et n'écoutant que leur bon coeur, Houdini et Bessie pourraient vite se faire quelques puissants ennemis...
Je ne vais pas aller plus loin dans le contexte de ce roman, car ces éléments-ci nous sont rapidement exposés mais d'autres vont apparaître au fil des rebondissements et des découvertes de l'enquête. Car, si "Metamorphosis" possède le format classique du livre à enquête, 256 pages, il s'y passe énormément de choses, y compris un certain nombre de surprises.
Avant de parler du personnage, un mot de l'auteure : les auditeurs de RCF connaissent peut-être Vivianne Perret qui intervient régulièrement sur cette antenne. Journaliste, critique littéraire, scénariste, elle est aussi historienne et nourrit une passion pour l'Amérique des XIXe et XXe siècle, on est en plein dedans avec son Houdini.
Si je lui consacre ces quelques lignes, c'est parce qu'elle a choisi un parti pris tout à fait intéressant : autour de Harry et de Bessie, n'évoluent quasiment que des personnages ayant réellement existé. Bien sûr, la romancière prend quelques libertés avec leurs biographies véritables, mais elle explique tout en fin d'ouvrage dans une annexe bienvenue et passionnante.
De la même manière, elle soigne le contexte historique et géographique, faisant coïncider parfaitement la carrière montante de l'illusionniste et les événements politiques que j'ai évoqués plus haut. Il y a le décor parfait pour une intrigue, elle y plonge ses personnages centraux et, à l'arrivée, on a un polar bien construit et addictif.
Avec Harry Houdini comme moteur. Il apparaît comme un jeune premier talentueux et promis à un brillant avenir. Comme un homme passionné, prompt à s'enflammer et plein de ressources. Il met bien évidemment certains de ses talents d'illusionnistes au service de son enquête, en particulier sa science de l'observation et de la déduction, mais aussi sa capacité à se déguiser.
Pourtant, ce sympathique Harry a quelques cotés un peu plus sombres. A commencer par un orgueil terrible : il veut être le meilleur, et de manière incontestable. Toute remarque sur son art et ses tours est reçue comme une gifle, comme un affront personnel. On comprend alors que le jeune magicien possède une sensibilité à fleur de peau, héritée, certainement, de son parcours personnel.
Née à Busapest, fils de rabbin, Ehrich Weiss (le vrai nom d'Houdini), est arrivé enfant en Amérique. Très tôt, il montre des talents pour la magie et choisit son nom de scène en hommage au Français Robert-Houdin. Mais, on sent qu'il n'assume pas très bien ce passé, dont il essaiera par la suite de se défaire, en réécrivant sa biographie...
Il forme avec Bessie, son épouse, un couple parfait : ils s'aiment profondément, travaillent ensemble et connaissent le succès grâce à leurs numéros. Mais, on le voit dans le roman, Bessie sait qu'il lui faudra s'effacer, car la star, ce sera Houdini et lui seul. Mais peu importe, et son aide dans l'enquête à Chinatown sera décisive.
Reste la magie... Metamorphosis est effectivement un des tours qui a fait la renommée d'Houdini. On le connaît aussi sous le nom de Malle des Indes. Un tour dont le détail est donné dans le livre, et qu'on trouve facilement ailleurs. Mais, on s'en doute, Vivianne Perret a choisi de mêler à son intrigue les caractéristiques du numéro-phare du couple en vogue...
Elle ne révolutionne pas le genre, joue plutôt sur des codes assez classiques du genre, mais "Metamorphosis" se lit agréablement. On se pique à l'enquête des époux Houdini, on plonge dans ce mystérieux Chinatown de la fin du XIXe siècle, dans lequel il ne fait pas bon traîner, on cherche à démêler les fils d'une intrigue qui, elle aussi, joue avec les apparences.
J'ai eu envie de lire ce livre par curiosité, parce que je voulais voir évoluer Houdini, et pas seulement comme détective amateur. Je n'ai pas été déçu, ce polar historique est un excellent divertissement et je retrouverai l'illusionniste star avec plaisir au printemps prochain, lorsqu'il reviendra en Europe, dans "Le Kaiser et le roi des menottes", titre du second volet annoncé par les éditions du Masque...
Ah oui, une dernière chose... Une photo, en fait... Quand j'écris un billet autour d'un livre qui met en scène des personnages réels, je jette toujours un oeil sur leurs biographies, soit pour nourrir le billet, soit pour éviter de dire des bêtises, soit pour faire le lien entre le roman et la réalité. Et, pour Houdini, je suis tombé sur le cliché parfait, puisqu'il a été pris en 1899... Houdini en pleine action !