Dorés, brochets et Jakob Böhme, par Alain Gagnon…

Par Chatquilouche @chatquilouche

Dorés et brochets. — Ces deux poissons d’eau douce se nourrissent de façon très dissemblable. Les dorés sont des chasseurs infatigables, des poursuivants féroces. Aux heures d’alimentation, en bande, ils traquent dans relâche leurs proies : menés, perchaudes… Le brochet est un embusqué, un opportuniste. Dissimulé derrière une souche ou les hautes herbes, il attend ce que le courant entraînera à portée de gueule, pour s’en saisir et s’en nourrir avec le minimum d’efforts.
On retrouve les mêmes attitudes chez les humains. Entre autres, chez les joueurs d’échecs. Les dorés symbolisent ceux qui privilégient les combinaisons savantes, les tactiques ardemment élaborées, analysées. Ils suent. Quant aux brochets, ils jouent la position, la stratégie, se contentant de placer leurs pièces où elles auront le plus d’impact, ils attendent patiemment que l’adversaire fasse une erreur et offre une occasion de gain.
Et chez les écrivains : les écrivains-dorés choisissent leur sujet avec soin, se document, font un plan, polissent et repolissent le style… Alors que les écrivains-brochets attendent que la vie et l’inspiration déclenchent soudain en eux une pulsion irrésistible d’où jaillira un ouvrage de fiction.
Observez bien dans votre quotidien, autour et, sans mal, vous distinguerez, non pas des Pokémons, mais des dorés et des brochets dans tous les métiers, toutes les professions.

Lecture d’un essai sur Jakob  Böhme.* — J’ai toujours admiré ce cordonnier philosophe ou théosophe – plus poète et mystique que raisonneur.
Pas facile de parler de Dieu, de se l’expliquer et d’être compris. Mes propres insuffisances ou celles de Bœhme ? Ou de l’essayiste ? Et si la réponse était plus simple. Si comme espèce nous ne possédions pas (ou peu) l’équipement mental nécessaire à la métaphysique ? Cela expliquerait la multitude des écoles aux cheminements orbiculaires, qui entretiennent un dialogue de sourds (parfois bruyant) depuis les présocratiques.
Il nous est impossible d’expliquer Dieu, de le circonscrire dans des concepts abstrus. Nous pouvons l’appréhender, admirer son œuvre à travers ses signatures que nous offre nature, tenter de collaborer à ce que nous croyons être les objectifs de l’Esprit en travail dans le temps et l’espace… Mais nous avançons dans un brouillard dense, qui se lèvera peut-être dans le prochain état d’être.
(* Émile Boutroux, Le philosophe allemand, Jakob  Böhme.)

L’auteur…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon du Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (MBNE) ; récemment il publiait un essai, Fantômes d’étoiles, chez ce même éditeur .  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).