Adieu à ce qui vient de Pierre Cendors, paru en 2011 aux éditions Finitude est un bel objet. L'encadrement du titre, sur la couverture, m'a rappelé ce livre de poèmes arabes avec décorations art-déco d'inspiration orientale que j'avais déniché un jour, en vacances à Montpellier, sur un marché aux livres. Le papier de bonne facture, le brochage qui résiste à l'ouverture (et que j'ai bien pris garde ne pas forcer), la belle typographie, tout désigne un objet textuel ciselé, soigné, presque hors du temps.
C'est exactement ce que nous offre Pierre Cendors avec Adieu à ce qui vient. Dans une Venise fantasmagorique, où les orphelines vêtues de blanc élevées par des nonnes chantent dans de petites églises ornées et où les grands palais semblent sortis tout droit d'un conte, une tragique rivalité se dessine entre deux hommes. L'étranger Inno, beau comme l'Amour, qui donne fêtes sur fêtes dans son palais princier excite les jalousies de Ricorni, scientifique amoureux d'étoiles. Entre eux, la belle Fulzia, magnifique courtisane, puis la jeune Auria, nonnette à la voix magique. Cependant, au fil de la lecture, le lecteur en vient à penser, au bras des femmes qui vont de l'un à l'autre, qu'ils se ressemblent plus qu'ils ne voudraient l'admettre, chacun s'aliénant à son idéal, quitte à se fermer à une partie du monde et de ses plaisirs. Lorsqu'on referme le livre, que reste-t-il ? Des thèmes sans cesse revisités, réarrangés comme un grand collier de perle un peu chargé, dans une langue poétique et volontairement symboliste sur les bords.
Alors je pourrais sans doute déplorer des maladresses, des lourdeurs, le trop grand nombre d'événements qui surviennent, et même certains clichés, comme cet éternel féminin qui se dessine dans les recherches d'Inno ou dans les descriptions de la jeune Auria :
Il y a les femmes, nombreuses, qu'Inno a désirées. Et il y a une femme, une seule, qu'à travers elles, il a aimées. Et aime.
Mais parallèlement, il y a des images qui ne perdent pas de leur force du fait de leur trop-plein de mystère, il y a un jeu de tons et de symboliques qui s'entremêlent qui rappellent sans doute les tentatives les plus idéalistes de la fin du XIXe siècle - ce à quoi le nom même de l'éditeur, F initude, semble faire soudain écho. J'ai cru voir à la fois quelque chose d'intensément familier et d'étranger, de bizarroïde. Sans doute aurais-je souhaité retrouver la folle modernité que j'ai cru percevoir dans Archives du vent, mais le style ici est différent - à la fois plus pompeux, et plus léger. Plus joueur.
Bref, je pourrais développer sur tous ces aspects-là. Vous révéler même que je ne suis pas certaine d'avoir compris tous les jeux de miroir disséminés dans le texte. Mais je me suis surprise, en tournant les pages, à rêver un livre plus beau encore, illustré par les graveurs de la fin du XIXe siècle et des années folles. Peut-être au fond le catalogue des gravures rêvées pour Adieu à ce qui vient dira mieux que tout le ton et l'ambiance de ce texte aux allures de conte allégorique.
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