Versant Céleste, une nouvelle de Chantale Potvin…

La vie est trop simple, il faut y arriver toujours par le compliqué.alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec
George Sand, romancière française
(1804-1876)

J’étais prête à me lancer : vêtements neufs, souliers de dame et coiffure haute… dans le but de plaire à mon patron.

J’y avais mis toute la gomme, sans retenue. J’allais le séduire et toutes les répliques d’envoûtement étaient prêtes dans ma tête : les rictus sur mes lèvres, le regard d’une diva, la démarche sensuelle, le maquillage, le pli de la jupe, le décolleté. J’avais vraiment pensé à tout.

D’ici tout au plus une semaine, il allait être mon amant et la bague suivrait. Je n’allais quand même pas passer ma vie comme simple employée dans un bureau. Il me fallait un homme aisé à moi ! En plus, avec le corps que j’avais, je pouvais viser haut sans gêne.

C’est lui qui m’aborda le premier. « Vous sentez bon », m’avait-il confié, un peu timide, alors que nous nous étions croisés dans un couloir. Déjà ! Je l’avais séduit par le nez. Tiens ! C’est un sens que j’avais négligé : l’odorat. Je n’avais songé qu’à la vue. Mignonne, mon petit parfum médiocre à 20 $ allait atterrir dans la poubelle. Je m’en servirai pour verser dans l’aspirateur ou je l’offrirai à une collègue plutôt moche. Il fallait miser sur la classe et la fragrance la plus chère allait trôner dans ma pièce à pomponner.

Le lendemain, il ne prit pas garde à moi malgré le paquet que j’y avais mis. Rien, si ce n’est une légère salutation de convenance. Il avait l’air à plat ! La fatigue, sans doute !

Les jours qui suivirent empirèrent ma cause. En plus de ne pas me saluer, il était grognon et me surchargeait de travail. Il me répondait nonchalamment et semblait distant, aussi loin que Pluton. Sûrement vivait-il de graves problèmes personnels…

Ce soir-là, je suis allée chez le coiffeur. Je me suis offert le plus joli et le plus sexy des tailleurs. J’ai claqué un mois de salaire. J’ai même opté pour un autre parfum de 120 $, Versant Céleste, un produit européen de haut de gamme.

Il allait flancher, c’est certain. Tous les hommes se tournaient quand j’arrivais au bureau. « Une vraie star, celle-là ! », devaient-ils se dire intérieurement. Derrière moi se déroulait une traînée d’étoiles. Je me sentais véritablement belle. Tout sur moi avait été cogité. Je portais même une petite culotte « Lejaby » en dentelle. Avec un corset au bas des fesses, elle donnait un petit air belle-de-nuit à mon fessier que je plaçais rebondi pour les besoins de la cause. Cette démarche ne manquait jamais de me causer une douleur carabinée dans le bas du dos quand je conjuguais le corset avec des talons hauts.

Je ne me décourageais pas. Chaque jour, j’en mettais un peu plus. Mes ongles, mes pieds, il fallait rentrer mon ventre, ajuster mon soutien-gorge, déployer mes jambes quand je m’asseyais devant mon écran d’ordinateur. Je pensais vraiment à tout et mon acharnement allait payer. Je sentais qu’il me regardait de plus en plus, de jour en jour.

Après quelques semaines, mon patron lança une enveloppe bleue sur mon bureau. Il me sourit et cligna de l’œil. Tout excitée, certaine qu’il s’agissait d’une invitation à souper, je la décachetai urgemment. Le mot me conviait à ses fiançailles avec ma collègue, celle à qui j’avais offert le flacon de Mignonne.

Notice biographique

Née à Roberval en 1969, Chantale Potvin enseigne le français de 5esecondaire depuis 1993. Elle a publié cinq romans soit :

-Le génocide culturel camouflé des indiensalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

-Ta gueule, maman

-Les dessous de l’intimidation

-Des fleurs pour Rosy

-T’as besoin de moi au ciel ?

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)