La Passe-miroir1, Christelle DabosLes fiancés de l’hiver
Editeur : Gallimard JeunesseNombre de pages : 519
Résumé : Sous son écharpe élimée et ses lunettes de myope, Ophélie cache des dons singuliers : elle peut lire le passé des objets et traverser les miroirs. Elle vit paisiblement sur l'Arche d'Anima quand on la fiance à Thorn, du puissant clan des Dragons. La jeune fille doit quitter sa famille et le suivre à la Citacielle, capitale flottante du Pôle. À quelle fin a-t-elle été choisie ? Pourquoi doit-elle dissimuler sa véritable identité ? Sans le savoir, Ophélie devient le jouet d'un complot mortel.
- Un petit extrait -
« - Que faites-vous ainsi ? demanda Bérénilde à Archibald.Assis la tête en bas dans son fauteuil, il décrocha son narguilé de ses lèvres et souffla un ruban de fumée bleue. Son vieux haut-de-forme était tombé et ses cheveux pâles s'écoulaient jusque sur le tapis.- J'observe mon existence sous un angle différent, déclara-t-il gravement.- Voyez-vous cela ! Et qu'en déduisez-vous ?- Qu'à l'endroit ou à l'envers, elle est absolument vide de sens. Et que cette position fait monter le sang à la tête, ajouta-t-il avec un sourire grimaçant. »
- Mon avis sur le livre -
Je pense que ce n’est plus un secret pour personne : j’ai toujours cinq trains de retard quand il s’agit des sorties littéraires. Non pas que je ne me tienne pas au courant des nouveautés, je passe au contraire un temps pharamineux à traquer les dates de parution. Le problème vient de mon budget livresque : il n’est pas extensible et ne me permet donc pas d’acheter suffisamment pour rester à jour. Cela fait ainsi des années que je souhaitais découvrir ce premier tome noyé sous les louanges des professionnels du livre et des lecteurs, mais cela ne fait que quelques semaines que j’ai enfin pu me le procurer. Pas besoin, je pense, de vous préciser qu’il ne lui a pas fallu longtemps pour sortir de la pile à lire : il m’intriguait tellement ! Et je ne regrette absolument pas de m’être laissée tenter par ce gros pavé !
Si vous croisiez Ophélie dans la rue, vous ne la remarqueriez peut-être même pas, et si c’était le cas, vous ne vous en souviendrez peut-être pas. Car Ophélie est discrète comme tout, bien cachée derrière ses robes hors du temps, ses gros manteaux, son écharpe endormie et ses indispensables lunettes. Pas très bavarde, pas très dégourdie, Ophélie possède cependant des dons fabuleux : il lui suffit d’effleurer un objet pour en lire l’histoire et elle n’a besoin que de deux miroirs pour passer d’un endroit à l’autre. Elle mène une existence plutôt paisible sur son arche, partageant son temps entre son travail au musée, ses visites chez son grand-oncle, et sa vie familiale. Mais voilà que tout bascule lorsqu’elle apprend, avec horreur et consternation, qu’elle est fiancée … à un parfait inconnu vivant sur une autre arche. Et son humeur ne s’arrange pas lorsqu’elle rencontre son promis : aussi grand et aussi froid qu’une armoire à glace, il ne fait absolument rien pour s’attirer sa sympathie et celle de sa famille. Elle n’a cependant pas d’autres choix que de le suivre, accompagnée de sa tante Roseline, jusqu’au Pôle, cette arche renommée pour le froid qui règne sur l’air comme sur les cœurs de ses habitants. Et Ophélie ne va pas tarder à se poser des questions sur les véritables motivations de ce mariage arrangé …
Il ne m’a pas fallu plus de quelques pages pour déclarer tout haut – comme souvent lorsque je souhaite fixer une constatation – que ce livre était un chef d’œuvre. Ou plutôt que « ce livre traversera les siècles ». Et ouais, rien que ça. Bon, relativisons un peu : je ne suis pas voyante, donc cette déclaration pleine de panache n’exprime bien évidemment que ma propre opinion, mais vous comprenez l’idée. Je n’ai que très rarement lu un livre aussi épatant, aussi impressionnant, que celui-ci. Malheureusement pour vous, je suis encore toute bouleversée, tout chamboulée, et je peine à ordonner mes idées ; je vous prie donc de m’excuser si cette chronique part un peu dans tous les sens et si elle est ponctuée de dizaines de points d’exclamation destinés à exprimer ma fébrilité. Le plus important à retenir, c’est qu’il ne faut absolument pas avoir peur de la taille assez conséquente de ce joli pavé bleu : vous passeriez à côté d’une véritable petite merveille littéraire ! Et croyez-moi sur parole : vous ne voulez pas passez à côté d’un livre pareil. Je vous assure !
Ce qui rend ce livre si exceptionnel ? Sa narration, indéniablement. Imaginez donc un peu : vous lisez une page, un paragraphe, une phrase, voire même un simple mot, et voilà que s’imprime dans votre imagination une représentation vibrante de vie et de réalisme des lieux, des personnages, de l’ambiance que décrit le texte. Ça ne m’était jamais arrivé jusqu’à présent, d’avoir un véritable film à l’intérieur de ma tête, comme si les mots se transformaient en sensations, en émotions, en couleurs, en bruits, en odeurs, au fur et à mesure que je les déchiffrais. L’image était parfois si nette dans mon esprit que j’avais le sentiment que si je tendais la main, j’allais être en mesure de cajoler l’écharpe d’Ophélie, que si je tendais l’oreille, j’allais entendre l’incessant bourdonnement des salons mondains du Clairdelune. C’est vraiment époustouflant, d’autant plus que les descriptions n’occupent pas forcément une place prédominante dans la narration. Il y a de la magie là-dedans, ce n’est pas possible autrement !
Mais l’histoire en elle-même n’est pas en reste ! Nous avons donc ici une héroïne atypique, très éloignée des canons de beauté et de courage que nous présentent la quasi-totalité des livres pour adolescents. Ophélie est au moins aussi myope, aussi maladroite et aussi réservée que moi (et croyez-moi, dans les trois cas, c’est un exploit), elle ne s’intéresse nullement aux jolis vêtements et aux coiffures sophistiquées qu’affectionnent sa sœur ainée, ne souhaite absolument pas se marier et est parfaitement heureuse dans son petit musée. Et c’est justement cette spécificité qui rend Ophélie si intéressante, si attachante. Elle est humaine, avec ses qualités et ses défauts, ses forces et ses faiblesses, ses instants de confiance et ses moments de doute. Ophélie est entourée d’autres personnages tout aussi intéressants car présentant sans cesse des facettes différentes, véritables reflets de la complexité de la personnalité humaine. Thorn, l’antipathique fiancé d’Ophélie, aussi mystérieux qu’insaisissable, que même le lecteur ne parvient pas à cerner. Archibald, l’ambassadeur du Pôle, tantôt frivole et inconstant avec les femmes, tantôt vieux jeu et protecteur avec ses sœurs, qui m’a plus d’une fois fait sourire. Bérénilde, manipulatrice et dissimulatrice, mais aussi brisée en profondeur par le chagrin … Je vais m’arrêter là car tous les personnages sont construits de la même façon : tout en nuances et en paradoxes.
Nos protagonistes évoluent dans un univers d’une richesse rare, possédant son histoire, sa mythologie, ses règles et sa magie. Au début, j’avais un peu peur de m’y perdre, mais mes inquiétudes ont vite été balayées : l’auteur distille les informations ci et là, d’une façon très naturelle, en les insérant dans une banale discussion ou une simple réflexion, sans que cela ne surcharge le récit. Le lecteur n’est jamais perdu, il découvre progressivement les pouvoirs que possèdent les personnages, l’organisation des arches et les subtilités des règles qui régentent ce monde aussi étranger que familier. Je suis tombée sous le charme de cet univers, de sa magie, de son mystère. Il s’agit d’un monde aussi fantastique que terrifiant … et on peut en dire autant de l’intrigue. Ophélie, et le lecteur à travers elle, ne sait jamais sur quel pied danser, est ballotée par les événements sans savoir à qui accorder sa confiance, sent qu’il se trame quelque chose sans réussir à mettre le doigt dessus. Je ne peux pas en dire plus, pour ne pas vous gâcher la joie de la découverte, mais attendez-vous à trembler, à sursauter, à froncer les sourcils et à retenir votre souffle. Une lecture très physique et très intense, car, comme je le disais auparavant, on est complétement plongé au cœur de l’intrigue et on est totalement en empathie avec Ophélie. Entre amis et ennemis, entre alliés et adversaires, saurez-vous faire la différence sans vous tromper ?
J’ai eu bien du mal à tourner la dernière page, et il n’est pas difficile de deviner pourquoi : je n’ai pas le second tome sous la main ! Et croyez-moi, après une lecture aussi épatante, aussi impressionnante, aussi époustouflante, aussi renversante, il est terriblement difficile de passer à autre chose. Bien plus qu’un coup de cœur, cette lecture a été une véritable révélation littéraire : un univers riche et fascinant, des personnages atypiques et intrigants, une intrigue complexe et captivante, le tout porté par une narration fantastique qui stimule l’imagination jusqu’à rendre le récit vibrant de vie et de réalisme. Un livre exceptionnel qui n’a absolument rien à envier aux best-sellers les plus renommés et qui, je n’en doute pas, continuera de faire parler de lui pendant bien longtemps encore ! A ceux qui hésitent encore, mal à l’aise face à l’épaisseur de l’objet livre, peu habitués à la fantasy ou rebutés par la classification « jeunesse » : n’hésitez plus et ne passez pas à côté de cette merveille !
Ce livre a été lu dans le cadre de la Coupe des 4 maisons(plus d’explications sur cet article)