Dans le courant des années 60’, dans un petit village du nord-est de la Hongrie, c'est-à-dire une zone géographique proche de la Roumanie et de l’Ukraine, une famille vit dans la misère et tente, tant bien que mal, de survivre.
Même sans être un spécialiste de la géopolitique d’Europe centrale, on sait que cette région a été de tout temps un invraisemblable imbroglio de provinces annexées, rendues partiellement ou redécoupées en fonction des pouvoirs et forces en présence. Un terreau évidemment propice aux misères et souffrances humaines, le communisme s’octroyant une bonne part des responsabilités. C’est sur cette base et son expérience personnelle que Szilárd Borbély a écrit ce roman et vous conviendrez qu’on ne peut pas s’attendre à rigoler beaucoup durant cette lecture. Heureusement l’auteur a trouvé une parade pour alléger l’humeur ambiante – une astuce connue certes, mais qu’on le remercie d’avoir utilisée – faire du narrateur, un gamin de six ou sept ans quand débute le livre. L’auteur peut alors jouer avec l’écriture en adoptant le regard de l’enfant sur le monde qui l’entoure. Un gamin ne sachant pas tout, le récit avance en mêlant des descriptions extrêmement précises, sans économie de détails parfois répugnants, de faits de toutes sortes concernant aussi bien la vie de tous les jours à la ferme que de personnages souvent désagréables, mais aussi d’interrogations terriblement importantes sur les origines de sa famille qui ne se révèleront que petit à petit au cours de la lecture. Précisions pour ci et manque d’informations pour ça, cet étonnant cocktail tient en haleine le lecteur, déjà satisfait de lire un bouquin bien écrit et bien rythmé.
La famille du narrateur, son père communiste mais pas inscrit au Parti, mis au chômage par le responsable du kolkhoze, boit et peut être violent, peut-être fils bâtard d’un Juif ; sa mère n’est pas communiste, prie chaque soir la Vierge Marie et méprise les paysans car fille d’un koulak ; la sœur aînée de cinq ans avec laquelle il se querelle sans arrêt ; et le frère cadet, un bébé surnommé le Petit. Et puis il y a le grand-père, ancien militaire, qui apprendra au gamin l’histoire familiale et par ricochet nous enseigne l’Histoire, et les oncles, « les plus grands Croix Fléchées du village », harceleurs de Juifs…
Outre la misère classique (faim, froid), le roman n’est que violences. La violence domestique des campagnes qui nous vaut des scènes horribles, on noie les chats et on massacre les chatons, on tue le poulet, on écrase les insectes noirs, à moins que ne dérivent dans la rivière en crue, des cadavres de vaches ou de brebis en décomposition ; mais il y a surtout la violence envers les hommes qui ne dit pas son nom, les moqueries des enfants du village envers le narrateur, l’excluant de leurs jeux, celle des adultes contre le Juif du village, tenu à l’écart ou confiné à vider les chiottes, ou bien la rumeur qui voudrait que le père de notre gamin soit un Juif, les familles du père et de la mère qui ne s’aiment pas en raison de leurs origines sociales opposées. Et le Parti qui surveille tout son petit monde, « Les gens savent que le mastroquet est un indic. Et ils trouvent cela normal. Mais personne n’ose le lui dire en face. »
Le roman n’a ni début, ni fin, proprement dit, une tranche de vie s’étalant sur quelques années avec en toile de fond l’Histoire de la Hongrie, la Guerre, les rescapés des goulags ou les expropriations des terres par les communistes. Certains en mourront immédiatement, d’autres en différé, comme Szilárd Borbély après avoir couché sur le papier ces invraisemblables épreuves.