À abuser du second degré… un texte de Myriam Ould-Hamouda

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Têtes de jeune fille et de vieillard, Boucher

À abuser du second degré, nous avions oublié de prendre un peu au sérieux nos feux intérieurs.

Un demi-siècle nous séparait, mais nous nous étions trouvé assez de points communs pour nous moquer des générations auxquelles nous n’avions jamais su nous résoudre à appartenir. Vos rides ne me faisaient pas peur, mon acné ne vous dégoûtait pas. Vous aviez la délicatesse de garder sur vos épaules le poids de vos années passées, j’avais la pudeur de ne pas vous coller sous le nez mes lendemains qui chantent faux. Vous aviez dans les yeux la fougue de mes vingt ans, j’avais dans les jambes la fatigue de vos années de trop ; mais certains jours, selon le vent la pluie ou le soleil, selon les gros titres du quotidien ou la dernière blague qu’on nous avait racontée, nous échangions ce qui traînait au fond de notre sac à dos. Et même s’il n’y avait parfois pas grand-chose, nous avions tous les deux toujours assez d’imagination pour nous donner à voir tout ce qui nous manquait.

Un demi-siècle nous séparait, mais nous avions inventé une machine à remonter le temps ; et nous nous vêtions tantôt de la colère de l’adolescent qui refuse le monde tel qu’il est, tantôt de la candeur du môme qui se moque bien de la tronche du monde, et s’en invente un nouveau. Ni vous ni moi n’avions jamais su être assez adultes pour nous reprocher nos cuites de la veille et nos gueules de bois du matin, pour passer l’âge des bêtises des grosses colères et de l’envie de jouer ensemble. Et nous prenions un malin plaisir à dénicher un tas de cachettes secrètes pour nous planquer, même si personne n’avait jamais compté à haute voix jusqu’à dix, juste pour le plaisir de nous chercher un peu et de ne jamais cesser de nous surprendre en n’étant jamais là où nous nous attendions. Et même si nous n’avions jamais les pouces levés ni les mots des grands pour le dire, nous adorions ça.

Un demi-siècle nous séparait, une noce d’or que nous n’avions jamais pris le temps de faire semblant de célébrer, comme nous détestions tout ce qui brillait s’il ne s’agissait pas de ces étoiles que nous nous glissions l’air de rien dans les yeux, ou nos éclats de rire. Le monde s’amusait à nous prêter un paquet d’intentions débiles, de l’amour de la haine ou les deux à la fois comme il ne savait plus vraiment sur quel pied danser dans notre cour de récré qu’il prenait pour un champ de bataille ; mais nous nous amusions encore plus à le regarder s’étaler de tout son long au milieu, et nous nous moquions bien de ce qu’il s’échinait à nous prêter du demi-siècle qui nous séparait de la destination finale tant que nous nous donnions toujours assez de quoi nous marrer avant de l’atteindre. Mais à abuser du second degré, nous avions oublié de prendre un peu au sérieux nos feux intérieurs.

Nous nous pensions bien du talent à ne jamais retenir nos fous rires, alors que nous manquions de courage pour sangloter et nous prendre dans les bras avant que nos feux nous consument.

Notice biographique

Chat Qui Louche maykan alain gagnon francophonieMyriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.  C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)