Un bruit étrange et beau (Zep – Editions Rue de Sèvres)
L’ordre des Chartreux est l’un des ordres religieux les plus austères au monde. Lorsqu’on intègre cette communauté, on sait qu’on va passer le restant de ses jours sans aucun contact avec le monde extérieur, dans un silence presque absolu. Le jeune William a donc fait un choix particulièrement radical en rejoignant la Chartreuse de Valsante, en Suisse, lorsqu’il avait seulement 20 ans. Un choix qui, à l’époque, n’avait pas été compris par les membres de sa famille. Particulièrement par sa tante Elise, pour qui son neveu n’a fait que fuir le monde en s’enfermant dans un monastère. Depuis lors, 25 ans et 7 mois ont passé. Durant toutes ces années, William n’a connu que solitude, pauvreté, obéissance, chasteté et silence. Lors d’une balade en montagne, il aperçoit furtivement le reflet de son visage dans l’eau d’un lac, mais ne reconnaît presque plus ses propres traits, tant il est devenu un autre homme en prenant l’identité de Don Marcus. « Ce monastère a presque mille ans. Certains jours, j’ai l’impression d’avoir le même âge », se dit-il. Et pourtant, au moment où William pense que plus rien ne changera jamais dans sa vie, un événement inattendu le contraint à quitter son monastère pour Paris. Sa tante Elise, qui vient de décéder, lui lègue un héritage d’une valeur de plusieurs millions d’euros. Mais les dernières volontés de sa tante sont claires: pour recevoir cet héritage, il faut que tous les ayants-droits soient présents physiquement. William décide donc d’y aller. Car même si les Chartreux ont fait voeu de pauvreté, cette coquette somme tombe à pic pour financer les travaux de réfection de l’aile sud-est du monastère, qui est dans un piteux état. Après 25 ans d’enfermement, William/Don Marcus retrouve l’agitation du monde extérieur. L’expérience le désarçonne un peu, mais elle n’est pas forcément pour lui déplaire. Dans le train qui le mène jusque Paris, il retrouve même le plaisir de la parole. Il sympathise avec Méry, une jeune femme qui souffre d’une maladie incurable, et qui est donc bien décidée à profiter de ses derniers mois. Au contact de Méry, William redécouvre les couleurs et la vie, tandis que des images et des visages de son passé remontent à la surface…
Zep est un auteur plein de surprises. Alors qu’il pourrait très bien se limiter aux blagues de « Titeuf », dont chaque nouvel album se vend à des millions d’exemplaires, le dessinateur suisse a choisi depuis plusieurs années d’explorer aussi d’autres voies, que ce soit le dessin d’actualité avec « What a wonderful world » ou le scénario de BD érotique avec « Esmera ». Il y a trois ans, il s’est également lancé dans un registre plus réaliste et plus intimiste avec « Une histoire d’hommes », l’histoire d’un groupe de rock dont un seul des membres est devenu une star, avec toutes les rancoeurs que ça peut entraîner. « Un bruit étrange et beau », sa nouvelle BD, s’inscrit dans cette même veine et dans le même graphisme. Mais le résultat est encore meilleur! Si jamais c’était encore nécessaire, « Un bruit étrange et beau » prouve définitivement que Zep est bien plus que le papa de Titeuf et qu’il est capable de grandes choses. De la première à la dernière page, cette BD respire la sérénité, tout en parvenant à nous interroger sur des thèmes aussi essentiels que la mort et la religion. Alors que la quête de sens est au coeur de notre société moderne, Zep y apporte une réponse inattendue avec ce roman graphique élégant et envoûtant. En choisissant pour personnages principaux un moine ayant fait voeu de silence et une jeune femme qui sait qu’elle va bientôt mourir, l’auteur suisse nous questionne sur la frénésie de nos vies. Sans verser dans la moralisation, « Un bruit étrange et beau » nous amène à nous demander après quoi on court tout le temps, sans jamais prendre le temps d’admirer la nature qui nous entoure, comme le fait William, ou de se baigner dans une rivière, comme le fait Méry. Une magnifique histoire sur le recueillement, à mille lieues de l’univers potache de Titeuf. Décidément, Zep a bien grandi!