Salon funéraire et Jean Ray…, un texte d’Alain Gagnon

Par Chatquilouche @chatquilouche

Au retour d’un salon funéraire. —
Au salon funéraire, il n’y a plus d’Anglophones, il n’y a plus de Francophones. Ça sent le café, et des gens ont de la peine.
Au salon funéraire, il n’y a plus d’Irlandais protestants ni d’Irlandais catholiques. Ça sent le café, et des gens pleurent.
Au salon funéraire, il n’y a plus de Sudistes ni de Nordistes. Ça sent le café, et des gens ont de la peine.
Au salon funéraire, il n’y a plus de conservateurs, il n’y a plus de progressistes. Ça sent le café, et des gens pleurent.
Au salon funéraire, il n’y a plus de fédéralistes ni d’indépendantistes. Ça sent le café, et des gens ont de la peine.
Tous conflits ajournés pour cause de sort commun dans l’aveugle aventure humaine.

Jean Ray. — Pour ceux à qui je dois expliquer ma fascination pour l’auteur belge Jean Ray, voici le début d’une nouvelle tirée du recueil La croisière des ombres :

La présence horrifiante

Écoutez, derrière la puérile barrière de la vitre, noire comme du sang caillé, toute l’apothéose des bruits méchants de la tempête.
Elle est accourue de loin, du fond des mers haineuses.
Elle a dérobé aux rivages maudits, où pourrissent les phoques crevés de gale, les relents du mal noir et de la mort.
Elle a hué, honni mille agonies pour assiéger notre pauvre cabaret, où le whisky est aigre et le rhum épais.
C’est un enfant fort vilain qui dévaste un parc de roses, pour taquiner une coccinelle, et la voici qui flagelle notre bicoque de ses nageoires de raie géante.
— Pourquoi, dit Holmer, faut-il mettre, autour de chaque histoire terrible, une nuit noire et un orage affreux ? C’est de l’artifice.
— Non, répondit Arne Beer, c’est une réalité, une chose ainsi voulue par la nature. Vous confondez autour et alentour, comme disait le professeur de français d’Oslo, mais il ne confondait jamais le whisky avec son verre, le singe adroit.

Un métissage d’Edgar Allan Poe, d’Isidore Ducasse et de Coleridge. Atmosphère à couper le souffle.

L’auteur

Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon du Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose ont ensuite paru chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004), Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013). Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011). En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010). Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont KassauanChronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (MBNE) ; récemment il publiait un essai, Fantômes d’étoiles, chez ce même éditeur. On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL. De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue. Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)