La bibliothèque des cœurs cabossés, de Katarina Bivald, traduit du suédois par Carine Bruy, J’ai lu, 2016, 511pages
L’histoire
Tout commence par les lettres que s’envoient deux femmes très différentes : Sara Lindqvist, vingt-huit ans, petit rat de bibliothèque mal dans sa peau, vivant à Haninge en Suède, et Amy Harris, soixante-cinq ans, vieille dame cultivée et solitaire, de Broken Wheel, dans l’Iowa. Après deux ans d’échanges et de conseils à la fois sur la littérature et sur la vie, Sara décide de rendre visite à Amy. Mais, quand elle arrive là-bas, elle apprend avec stupeur qu’Amy est morte. Elle se retrouve seule et perdue dans cette étrange petite ville américaine. Pour la première fois de sa vie, Sara se fait de vrais amis – et pas uniquement les personnages de ses romans préférés –, qui l’aident à monter une librairie avec tous les livres qu’Amy affectionnait tant. Ce sera pour Sara, et pour les habitants attachants et loufoques de Broken Wheel, une véritable renaissance. Et lorsque son visa de trois mois expire, ses nouveaux amis ont une idée géniale et complètement folle pour la faire rester à Broken Wheel…
Note : 3/5
Mon humble avis
La quatrième de couverture a été suffisante pour me donner envie de lire ce livre, particulièrement pour l’idée d’une correspondance entre deux femmes si éloignées, par l’âge et par la distance, mais aussi pour la façon dont le livre aborde la littérature. Et j’ai beaucoup aimé la première partie du roman, quand Sara arrive à Broken Wheel et découvre ce tout petit village qui ne ressemble en rien à ce qu’elle connaît. On rencontre au fur et à mesure les habitants de Broken Wheel, qui semblent tous prêts, à leur manière, à rendre la visite de Sara agréable. Tout cela malgré la grande absence d’Amy, qu’elle s’attendait à retrouver.
Les gens étaient bizarres de ce point de vue. Ils pouvaient ne vous porter aucune attention, mais à la seconde où vous sortiez un livre, vous étiez considéré comme impoli.
Je m’attendais à lire beaucoup plus d’échanges entre Sara et Amy, puisque c’est bien cette relation qui déclenche tout le roman. Finalement, on n’accède qu’aux lettres d’Amy, ce qui se justifie tout à fait puisque la narration suit principalement Sara, sa découverte de Broken Wheel et ses sentiments par rapport au village, à ses habitants, et à son amie décédée. Les lettres ne nous en apprennent guère plus sur Amy, au contraire, elles sont souvent placées à des endroits stratégique de l’intrigue pour donner plus de profondeur à un autre habitant de Broken Wheel, évoquer sa backstory et sa relation avec Amy. C’est assez bien fait d’ailleurs, et à l’inverse, on apprend quelques petites choses sur la vieille dame au fur et à mesure des discussions avec les habitants. Mais je reste sur ma faim, j’aurai aimé en savoir plus sur la correspondance entre Amy et Sara. Le peu qu’on lit est fascinant et aborde des sujets importants avec un angle de vue des plus intéressant, dont cette superbe citation :
C’est drôle comme aujourd’hui on parle de terrorisme, comme si seuls des musulmans et des Arabes menaçaient notre société. Je crains que mon idée du terrorisme ne remonte à bien avant le 11 septembre. C’est la peur, l’arbitraire, la violence qui frappe sans distinction, y compris ceux qui ne voulaient pas s’impliquer ou n’avaient aucune intention de lutter contre la ségrégation. Pour moi, le mot terrorisme évoque toujours des hommes blancs issus des classes supérieures rassemblés autour du corps carbonisé d’un homme noir lynché, visiblement satisfaits de leur œuvre.
Si la première partie du roman m’a séduite, la seconde me laisse toujours un peu perplexe. Je ne sais qu’en penser. Alors bien sûr, l’arrivée de Sara aux États-Unis après une correspondance au sujet de la littérature et des échanges de livres avec une vieille dame est un tantinet tiré par les cheveux. D’autant que les habitants de Broken Wheel sont aux petits soins avec elle et refusent qu’elle paie quoique ce soit, ce qui me semble assez étrange… Mais la suite devient d’autant plus surréaliste et m’a complètement sortie du roman : je ne savais plus si ce dernier se prenait au sérieux ou s’il partait dans tous les sens volontairement. Je m’excuse d’être aussi cryptique mais je serai obligée de spoiler pour expliquer mon incrédulité…
Bref, je n’ai nullement cru à la seconde moitié. En plus, on commence à avoir accès aux points de vue des autres personnages, mais je trouve que c’est assez chaotique, on ne sait pas toujours de qui on parle et on a parfois l’impression que c’est casé là par hasard. Mon ressenti est donc assez mitigé.
J’ai en revanche adoré les références aux œuvres de littérature, de tous genres que ce soit du Marcel Proust ou Le journal de Bridget Jones et j’aime beaucoup cette vision de la lecture où tout le monde peut trouver un livre qui l’intéresse. Les références sont présentes de partout dans le roman, notamment dans les titres des chapitres, et je suis persuadée d’en avoir raté énormément, ce qui est bien dommage mais ne m’a pas empêché d’apprécier cet aspect du livre.
Elle lui tendit [le livre] avec des sentiments mitigés. Elle espérait qu’il ne lui passerait pas irrévocablement le goût de la lecture. Il faudrait qu’elle lui suggère quelque chose de plus viril la prochaine fois. Un polar, peut-être ? Michael Connelly ? Des mecs ténébreux, de la violence et des flics alcooliques. Enfin, peut-être pas Connelly. À y réfléchir, il serait peut-être difficile de trouver des policiers masculins n’impliquant pas un problème d’alcool.
Un gros point noir s’est profilé pourtant, vers le milieu du roman si je me souviens bien. Alors que j’étais ravie de la présence, dans ce petit village perdu, d’un couple d’hommes tout ce qui a de plus normal et non stéréotypé… Arrive Josh dans la « librairie » de Sara, qui explique à demi-mot qu’il est là pour rencontrer des hommes qui soient de son bord, on en déduit donc homosexuels. Sara lui conseille de visiter le bar tenu par le couple en question et Josh, agréablement surpris, s’intéresse de la sexualité de Sara (surprenant en soi parce que c’est pas ses oignons, mais passons) :
– Vous êtes… ?
Cela paraissait avoir une telle importance pour lui que Sara envisagea de mentir. Elle l’aimait bien. Elle choisit un compromis :
– Bisexuelle, déclara-t-elle alors qu’elle n’avait même pas vu la Gay Pride, et elle rougit légèrement.
Il sourit.
– Comme tout le monde, non ?
Donc apparemment 1) la bisexualité est un compromis, 2) on ne peut pas être bisexuel si on n’a pas vu la Gay Pride, 3) tout le monde est bisexuel. Autant de stéréotypes idiots et complètement erronés qui me donnent envie de hurler. Pour moi, c’est toujours pas clair si Sara est réellement bisexuelle ou si elle a seulement répondu ça pour lui faire plaisir parce qu’« elle l’aimait bien ». Ce n’est que le début, la bisexualité continue à en prendre pour son grade dans la suite du roman et c’est assez navrant.
Si davantage de librairies avait pris leurs responsabilités en utilisant des affiches de mise en garde, sa vie aurait été beaucoup plus facile. Comment pouvait-on exiger des messages d’avertissements sur les paquets de cigarettes, mais pas pour les livres tragiques ? Signaler sur les canettes qu’on ne devait pas conduire après avoir bu de la bière, mais ne rien dire quant au fait de lire des histoires tristes, sans mouchoirs à portée de main.
Si on pouvait mettre aussi en garde contre la biphobie, je dirais pas non.
Classé dans:Challenge Voix d'auteures 2016, Chroniques, Littérature étrangère, Romans Tagged: 3/5, Katarina Bivald, Littérature suédoise