Ce matin-là, Wendy part à l’école sans dire au revoir à sa mère. Les restants d’une dispute de la veille traînent dans l’air: Wendy veut aller voir son père en Californie, sa mère s’y oppose. L’une comme l’autre restent braquées. Wendy se trouve dans sa salle de classe lorsque les tours du World Trade Center sont attaquées. Sa mère travaille au 87e étage... La vie de Wendy et celle de ses proches vient de basculer. L’espoir de retrouver Janet vivante s’amenuisera de jour en jour.
Garrett, le père de Wendy, a quitté New York depuis quelques années pour aller vivre en Californie. Les liens qui l'unissent à sa fille n’ont jamais été forts. À la disparition de Janet, il se pointe, venant chercher Wendy pour l’amener vivre avec lui. Si l’adolescente n’est pas contre l’idée de changer d’air, elle se sent déchirée, ayant l'impression d'abandonner son beau-père et son demi-frère.
Hantée par le doute et la culpabilité, Wendy part vivre un temps en Californie. «Vivre et laisser vivre» pourrait être la devise de son père. Livrée à elle-même, Wendy fait l’école buissonnière. Elle se rapproche de son père, de sa belle-mère et fait d’étonnantes rencontres qui l’aideront à se reconstruire. Petit à petit, Wendy reprend des forces et devient un beau p’tit bout de femme, forte et lucide.
J’ai eu un gros coup de cœur pour Les règles d’usage. Principalement pour quatre raisons.
♦ UNE BELLE BROCHETTE DE PERSONNAGES, RICHES ET COMPLEXES Il y a Wendy, bien sûr. J’adore les romans dans lesquels les enfants et les adolescents occupent le devant de la scène. Si le résultat est rarement convaincant, Joyce Maynard est particulièrement douée pour s’immiscer dans leur univers. Ses personnages sont riches et nuancés, les relations qu’ils entretiennent entre eux sonnent justes. Qu’il s’agissent de Violet, la jeune fille-mère, ou de Todd, le garçon à la recherche de son frère, chaque ado est dépeint dans toute sa complexité. Louie, le demi-frère de Wendy, est touchant par sa fragilité; pareil pour Tom, le fils autiste d’Alan le libraire.
Les adultes ne sont pas en reste. Chacun cultive une passion (la belle-mère de Wendy et ses cactus, Alan et ses livres, Garrett et ses mouches, Josh et sa contrebasse). Les proches de Janet, désemparés lors de sa disparition, trouvent dans l’art un moyen d’apaiser leur peine. Les hommes, ici, sont de beaux modèles: ni mous, ni salauds! Des hommes viscéralement bons.
Je me suis attachée à chacun de ces personnages, ayant l’impression de les côtoyer, de vivre un bout de vie avec eux. De devoir les quitter est difficile.
♦AUTOUR DE LA LECTUREWendy lit. En Californie, plutôt que d’aller à l'école, elle passe beaucoup de temps dans une petite librairie de quartier tenue par un passionné. Elle s’assoit dans un fauteuil, lit et boit le thé offert par Alan. J’ai savouré les passages du roman dans lesquels sont décrits son rapport à la lecture et les parallèles qu’elle fait avec sa propre vie. Les lectures de Wendy m’interpellent.
Quelque part dans le tas, sous les morceaux à moitié fondus d’ordinateurs, de téléphones, de classeurs, de disques durs, de climatiseurs, de systèmes d’interphone, de rafraîchisseurs d’eau, de photocopieuses, de sandales et de toute autre couleur de sandales et de toute autre sorte de chaussures, sous les restes déchiquetés de costumes-cravate, de porte-documents, d’imperméables, de clés de voiture, de sacs de sport, de sacs de couches de bébé, de casse-croûte pour le déjeuner, de livres à moitié lus, de cartes d’anniversaire et peut-être même quelque part d’une lettre d’amour, ou des bribes d’une, ou peut-être d’un simple point d’interrogation, quelque part sous un million d’autres débris de papier, de métal, de plastique et – son esprit s’arrêta sur cette image, qu’elle l’ait voulu ou non – de bouts d’os, aussi, de chair et d’os, quelque part là-dedans il y avait un confetti de confetti d’une photo d’elle souriante, au pied de l’arbre de Noël, avec son petit frère dans ses bras.
♦LE DEUIL ET L’APRÈSJoyce Maynard évoque avec une grande justesse la détresse, le désarroi et l’angoisse, puis le processus de deuil et la résilience. Chaque personnage touché par la mort de Janet vit son deuil à sa façon et à son rythme. Pour la plupart des personnages, l’art vient jouer un rôle salvateur dans leur lente reconstruction. À chaque page, le ton est juste et la psychologie d’une grande finesse.
Comment est-il possible que, pour certains, une terrible tragédie puisse se produire et que celle-ci semble seulement les rendre plus forts et plus déterminés à donner un sens à leur vie? Tandis que, pour d’autres, l’épreuve se borde à les broyer. Ils ne s’en remettent jamais. Ils ne sont pas moins bons, c’est juste qu’il leur manque une sorte d’instinct de conservation.
Joyce Maynard a le don de fignoler de bonnes histoires. On ne lit pas ses romans pour être dépaysé ou bousculé, mais pour se coller au plus près de la réalité. Malgré sa noirceur, il se dégage des Règles d’usage un optimisme lumineux. Au final, ce roman qui gravite autour de la mort et du deuil se révèle un magnifique hymne à la vie. Certains ont reproché à Joyce Maynard d’avoir imprégné son roman de bons sentiments et de mièvrerie... Moi, je n’ai pas boudé mon plaisir et j’ai embarqué à fond de train. Si, jusqu’à maintenant, L'homme de la montagne était mon roman «maynardien» préféré, il est maintenant à égalité avec Les règles d'usage. Bien devant Prête à tout et Baby Love.
Empressez-vous d’aller lire le billet qu’Electra vient de rédiger suite au passage de Joyce Maynard à Nantes, cet automne. Il apporte un nouvel éclairage sur son oeuvre et permet de lever une part du mystère entourant cette auteure fascinante.
Les règles d’usage, Joyce Maynard, Philippe Rey, 480 pages, 2016.★★★★★