201. — La propreté est le luxe des pauvres. Elle les obsède et les contraint autant que l’argent les riches.
202. — Dans le miroir, c’est le regard qui fait le reflet. Triste, vous voilà décavé. Mais s’il s’allume d’une lueur, ironique ou complice, c’est votre jeunesse encore qui vient vous sourire jusqu’au fond du grand âge.
203. — L’homme a rêvé qu’il était un animal un peu plus intelligent que les autres. Au réveil, il s’est aperçu qu’il n’était qu’une bête un peu plus rusée et infiniment plus prétentieuse. Alors, il a inventé le commerce.
204. — Des poussières de minorités visibles finissent par former une majorité risible.
205. — Les droits de l’homme en notre début de millénaire ? Autant en emporte la vente.
206. — Si le chat parvient à être, plus encore que la chouette d’Athéna, l’animal philosophique par excellence, ce n’est pas parce qu’il se montre penser : il ne pense pas. Mais il nous dit, de toute sa présence et par son comportement quotidien, notre transitoire et notre dépossession, native et future : ni notre temps, ni notre espace, ni même notre corps ne nous appartiennent. Ils deviennent siens dès qu’il condescend, avec un dédain que nous prenons pour de la tendresse, à les occuper. Parce que tout son être est affirmation tranquille, il se pose dans notre vie comme la question qui à la fois nous fonde et nous fait grouiller.
207. — Écrire, c’est d’abord trouver des rythmes et se laisser surprendre des sens qui finissent par y venir danser.
208. — L’envergure de nos mensonges réussis est la mesure exacte du crédit que nous accordent les autres.
209. — Les images ne « prennent » jamais vraiment, elles sont pleines de vide. Mais elles nous tiennent, nous. Et tout iconoclasme est d’abord une réaction de défense, la tentative insensée d’enfin sortir du cadre.
210. — Mise en attente et cellulaire disent, entre autres choses, une humanité qui ne veut rien manquer, qui rêve d’être disponible et présente à tout, mais, bien sûr, à distance, sans s’impliquer ni se salir. C’est l’ubiquité dérisoire et généralisée. Muni de tous les attributs de Dieu, monsieur Tout-le-Monde vaque urbi et orbi à ses petites affaires.
Notice biographique
Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969. Outre des centaines d’articles dans des revues universitairesquébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012. Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, XYZ, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe. Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).