Un monde civilisé, un texte de Jean-Marc Ouellet…

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Bosch, Le jugement dernier

Le Moyen Âge s’est écoulé du Ve au XVe siècle. Du déclin de l’Empire romain à la Renaissance et des grandes découvertes. Temps des envahisseurs barbares, des califats, des monastères, des Vikings, des innovations technologiques, des nobles, de la féodalité, des cathédrales gothiques, des croisades, il s’est conclu par les famines, la peste, les guerres et les crises théologiques. Le Moyen Âge est souvent vu comme une période sombre de l’humanité, où l’ignorance peut servir d’alibi.

Prenons les guerres à témoin. Munis d’épées, de coutelas, de hachettes et de masses, on se réunissait dans un champ, un camp face à l’autre. On criait, on faisait du bruit, on cherchait à intimider l’ennemi pendant que les sphincters s’échappaient. Enfin, on fonçait l’un sur l’autre. Les os craquaient, les pointes transperçaient les poitrines, les crânes explosaient. Guerrier contre guerrier. Quand un chef, las de voir ses hommes se faire massacrer, ordonnait la retraite, chacun remontait sur son versant de la vallée, puis, dans un commun accord, on allait récupérer ses morts et ses blessés. Ces derniers étaient conduits en sécurité, sachant bien que leurs jours étaient comptés, l’infection tuant plus lentement que l’épée. Le soir venu, chacun dans son camp, les quelques rescapés reprenaient leur souffle, dormaient avec peine, avant les brutalités du lendemain. À cette époque noire, on se haïssait, mais on respectait le guerrier devant soi. Bien sûr, au passage, on pillait les villages, on tuait femmes et enfants, mais les guerres se gagnaient au champ de bataille.

Dans le monde civilisé actuel, à l’ère du missile capable de frapper une cible de la grosseur de notre dollar, le 1er octobre 2016, on a bombardé un hôpital. Quelques jours plus tard, le même établissement fut de nouveau atteint. Méprise ? Hasard ? Bien, voyons !! On a tué des malades et des gens qui les soignaient. Des infirmières. Des médecins. Des hommes et des femmes qui sacrifiaient leur vie pour les autres. On les a tués comme on écrase des insectes. Un crime de guerre.
Une vidéo a récemment montré de jeunes ados, le fusil à la main, chacun se tenant debout derrière un prisonnier agenouillé près d’un compagnon d’infortune, brebis résignées à mourir. Sur l’image suivante, les hommes sont étendus dans la poussière du désert, inertes, leurs présumés meurtriers, à l’âge de jouer aux camions, triomphant. Des meurtres perpétrés par des enfants, endoctrinés au berceau. Un crime devant l’Humanité.

Aujourd’hui, on bombarde des musées, des églises, des hôpitaux, des écoles. On exécute sans procès. Une épée arrache une vie à la fois. Pas les bombes chimiques. Jadis, pendant que le père donnait sa vie pour la cause, l’enfant protégeait sa sœur, son jeune frère et sa mère. On ne l’offrait pas en pâture. Aujourd’hui, on attache une bombe à la taille d’un enfant et on l’envoie se faire exploser dans la foule. De la chair partout, du sang qui coule, du sang d’innocents. Tout ça, au nom de Dieu. Blasphème aux yeux des hommes et devant Dieu !

Ici, l’ignorance n’est pas une excuse. Le téléphone portable à la main, pendant qu’on sait tout du monde, le doigt sur la gâchette du Kalachnikov, on s’apprête à tuer. Le Mal en action.

Chaque siècle possède son Moyen Âge, écrivait Stanislas Jerzylec. Le XXe siècle a été celui de l’essor technologique. Les transports et les armes en ont bénéficié plus que d’autres domaines. Or, entre les cocktails, les bonzes de l’ONU discutent, discutent et discutent, pendant que la barbarie dépasse celle de l’Antiquité et du Moyen Âge. Le XXIe siècle vit son Moyen Âge.

Aucune société n’est irrémédiable selon Victor Hugo. Quelle que soit l’épaisseur de la nuit, on perçoit toujours une lumière. De toutes mes forces, j’essaie d’y croire. Je garde espoir en une Humanité respectueuse de la vie. Elle comporte tant de beauté et de bonté. Mais parfois, je l’avoue, aveugle peut-être, je la cherche, la lumière.

Citations tirées du site Evène.

© Jean-Marc Ouellet 2016

Notice biographique

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Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, Jean-Marc Ouellet pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, il signe une chronique depuis janvier 2011 dans le magazine littéraire électronique « Le Chat Qui Louche ». En avril 2011, il publie son premier roman, L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis Chroniques d’un seigneur silencieux aux Éditions du Chat Qui Louche. En mars 2016, il publie son troisième roman, Les griffes de l’invisible, aux Éditions Triptyque.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)