Je suis allée voir le film La Danseuse de Stephanie di Giusto il y a quelques semaines. J'en suis ressortie embarquée par les voiles de la Loïe, mais surtout pleine de questionnements en tous genres : parmi elles, quel était ce personnage de marquis, dont je n'avais jamais entendu parler ; quelle est la part de mise en scène dans la représentation de ses relations avec Isadora Duncan, et bien d'autres encore. Je me suis alors souvenue que j'avais acheté ce petit livre au CND, après avoir vu une performance d'Ola Maciejewska sur le thème.
Loïe Füller ne m'était pas totalement inconnue. Je travaille sur la littérature de la fin du XIXe siècle et la danseuse y est fréquemment mentionnée. A tel point qu'un chapitre entier de l'ouvrage de Guy Ducrey, Corps et graphies, poétique de la danse et de la danseuse à la fin du XIXe siècle, est consacré au sujet. Le corps charmait d'être introuvable (Rodenbach), Elle a vraiment créé la danse nouvelle (Jean de Tinan), Une fleur de rêve avait surgi des ténèbres (Jean Lorrain)... Mystérieuse créature, sylphide ou encore salamandre, Loïe Füller et ses voiles a nourri tant les rêves que les sensations d'art des plus grand écrivains du siècle.
On tient là sans doute le ferment de toutes les déceptions. Que peut donc écrire celle qui a créé toutes les métamorphoses et a incarné tous les fantasmes d'art d'une époque ? Pressée par Jules Claretie, Loïe Füller se met à écrire une autobiographie en 1908. Courte, pensée plus comme une succession d'anecdotes que comme un récit suivi. Ecrit en anglais et ensuite traduit par un ami, le texte surprend à plus d'un titre. Les anecdotes mondaines y sont nombreuses, et Loïe Füller a bien soin d'énumérer les souverains qu'elle a ou non rencontrés au cours de ses tournées. Assurant régulièrement sa modestie, elle cite cependant, in extenso, les compliments que les artistes et grands de ce monde ont pu lui adresser. Le livre serait-il, sous des couverts autobiographiques, une vaste entreprise de légitimation ? La Loïe Füller de 1908, qui avait dansé chez les puissants, en avait-elle même besoin ?
Ce qui est très étrange, c'est qu'on sent davantage l'entrepreneuse que l'artiste dans ce livre. C'est un des éléments qui rend pourtant le livre intéressant : de la Loïe, nous ne connaissons finalement de la danseuse que le mythe, et y voir réinscrit une part de l'individu, quand bien même la mise en scène de soi y aurait une part importante, permet d'enrichir considérablement le point de vue. L'auteur l'a par ailleurs bien compris et si elle parle assez peu de son art, elle en livre peut-être la meilleure défense possible : en insistant à de nombreuses reprises sur la rupture entre l'impression qu'elle laisse sur scène et celle qu'elle laisse dans la vie. A plusieurs reprises, adultes comme enfants ne la reconnaissent pas une fois débarrassée de ses costumes et privée de ses éclairages. Loïe Füller relate même une scène où des enfants l'accusent de mentir et ne pas être la fée qu'ils ont vue danser sur scène. Le livre offre en ce sens une expérience parallèle : on est surpris de ne trouver qu'une femme de bon sens là où l'on aurait souhaité trouver une créature surnaturelle, à la hauteur de tout ce que le Paris de la Belle Epoque a dit sur elle.
Et c'est cela, finalement, qui fait tout l'intérêt du personnage de Loïe Füller. Lorsque le film offre une relecture parfois discutable de sa vie, le livre, tout en souhaitant pourtant mettre totalement en scène le destin de l'artiste, nous livre des bribes d'une femme aussi simple que résolument moderne, à la fois chorégraphe, impresario et metteur en scène. C'est court, cela se lit très bien et pour peu que l'on ne soit pas tout à fait dupe du fabuleux destin à l'américaine que Loïe Füller nous décrit comme le sien, on en apprend beaucoup. Et sur le personnage, et sur notre capacité à construire du rêve sur ce que l'artiste nous donne.