Si une personne avertie en vaut deux…, un texte de Myriam Ould-Hamouda

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Si une personne avertie en vaut deux, il faut être un peu benêt pour accepter de payer deux places pour un vol qui se terminera de toute façon par un crash. Nous sommes nés, pour le meilleur et pour le pire ; mais le pire nous fait tellement flipper que nous passons notre vie à prendre nos précautions et toutes les mesures nécessaires pour éviter toutes les bricoles qu’il pourrait nous arriver. Ou, comme elles finissent toujours par pointer le bout de leur nez si elles l’ont décidé, pour pouvoir au moins dire que nous n’y sommes pour rien. Nous attachons nos ceintures, verrouillons nos portières, respectons les limitations de vitesse, nous passons le trajet à vérifier dans nos rétroviseurs tout ce qui pourrait surgir de devant, de derrière, de gauche, de droite, d’en haut, d’en bas : une ambulance, une bête paniquée, un ovni, un piéton pressé, le temps qui détale, ou un automobiliste un peu plus distrait que nous parce qu’il aurait eu envie une fois, rien qu’une fois, de profiter du paysage. Mais nous avons beau nous efforcer, de maintenir notre attention pour que rien ne nous échappe jamais, personne n’a jamais su éviter le ciel qui lui tombe sur la tête ; même le meilleur pilote de Formule 1.

Et le pire, ça le fait bien marrer, de nous regarder prendre racine dans le couloir de l’entrée sous nos armures en acier, à brandir notre épée et notre bouclier contre la porte fermée à double tour. Et s’il tarde un peu, ce n’est pas parce qu’il n’a pas trouvé notre adresse dans l’annuaire, que sa voiture ne démarre pas, que l’interphone ne fonctionne plus ou que ce soir il a un peu la flemme de se taper les sept étages à pieds parce que l’ascenseur est encore tombé en rade, non. Le pire n’a rien de belle-maman qui débarque à l’improviste, mais à qui, même si ce n’est pas le moment, nous ouvrons la porte, proposons un café et dont nous supportons les quolibets, comme nous savons qu’à un moment arrivera bien l’heure où elle préférera rejoindre ses meubles époussetés. Et le pire, ça le fait bien marrer, de nous regarder flipper en l’attendant, comme ça fait longtemps qu’il est là, tapi en nous, prêt à bondir quand le ciel nous tombera sur la tête ; et il se fout bien du café, des petits gâteaux sur la table basse du salon, de la pluie, du beau temps, des sourires gênés : ce qu’il a à nous dire est insupportable à entendre, mais dehors, depuis que l’horizon est tombé avec le ciel, il n’y a plus rien à voir.

D’ailleurs, il n’y a plus de fenêtre pour le constater ; il n’y a plus d’immeuble, plus de ville, plus de bruit pour couvrir les silences de cet atroce tête-à-tête, il n’y a plus de forêt autour, plus de cachettes secrètes, plus de loups pour hurler avec eux. Le monde, en même temps que l’horizon et le ciel sont tombés, a disparu. Le monde, avec ses bonnes manières, sa misère, ses scandales, avec ses aurores boréales, ses volcans en colère, avec ses églises ses cimetières ses pissenlits, avec ses coups d’éclat et ses coups de folie, avec sa façon à lui nous donner de quoi nous émouvoir encore un peu.

Notice biographique

Chat Qui Louche maykan alain gagnon francophonieMyriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.  C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)