Sourions puisque c'est grave. Les livres servent aussi à cela, en particulier la satire. Dénoncer une situation en s'en amusant, une idée qui me plaît bien, même si, comme tout ce qui vise à provoquer le rire, c'est un genre forcément casse-gueule. Je dois dire que j'étais très curieux de me lancer dans notre lecture du soir pour voir comment l'auteur allait se sortir de son idée, que je trouvais excellente sur le papier. Je craignais de tomber dans le grand-guignol et les vannes un peu facile, mais, de mon point de vue, c'est une satire très subtile, intelligente et pertinente que nous propose Michael Honig avec "La sénilité de Vladimir P.", paru aux Presses de la Cité. Et surtout un état des lieux terrifiant de la Russie contemporaine et de sa mise en coupe réglée par son principal dirigeant et son entourage, comme si, après l'Empire tsariste et l'Union soviétique, le pays était condamné à expérimenter un nouveau mode de gouvernance tout aussi autoritaire et inégalitaire...
A 82 ans, Vladimir Vladimirovitch Poutine coulent des jours tranquilles dans une datcha située à quelques kilomètres de Moscou. Celui qui fut l'homme fort incontestable du pays pendant plus de deux décennies a pris du recul depuis quelques années. A vrai dire, il n'a pas choisi de passer la main, on l'a poussé discrètement sur la touche.
Car, petit à petit, ses facultés mentales l'ont abandonné... Le mot d'Alzheimer n'est jamais prononcé, mais on comprend au fil des pages que c'est ce mal qui touche l'ancien maître du Kremlin. Et, pendant que les chacals se disputent l'empire, le lion s'enfonce dans la maladie, alternant entre prostration, crise d'autorité comme au bon vieux temps, hallucinations et colère noire...
Pour veiller sur lui, un infirmier a été embauché, Nikolaï Ilitch Cheremetiev. Depuis six ans, il s'occupe jour et nuit de son célèbre patient, ne ménageant pas ses efforts, usant d'une patience d'ange et tolérant les brusques changements d'humeur de Vladimir. Il a appris les réactions du vieil homme, ses lubies et ses débordements, lui a instauré un rythme de vie idéal en attendant l'inexorable.
Cheremetiev n'est pas seulement compétent, c'est un vrai gentil, un homme bon qui ne s'est jamais soucié de politique et n'a donc pas d'avis sur la personnalité de l'homme qu'il soigne. D'ailleurs, ça lui est égal, peu importe que cet homme soit un monstre, un tyran, aujourd'hui, il a besoin de son aide et c'est la seule chose qui compte.
Vladimir et Nikolaï ne sont évidemment pas les deux seuls habitants de la datcha présidentielle. On a conservé son train de vie à l'ancien chef d'Etat et, pour cela, ont été embauché des gardiens, des jardiniers, des chauffeurs, un chef cuisinier avec toute sa brigade, un intendant qui gère le domaine... Un petit monde qui vit en parfaite harmonie dans ce cadre bucolique.
Cheremetiev ne se préoccupe guère de tout cela non plus. Depuis son veuvage, il a quasiment perdu de vue son fils et il ne se concentre plus que sur sa mission, presque son sacerdoce, aux côtés de Vladimir. Malgré l'ampleur de la tâche et la dégradation constante de l'état de son patient, tout pourrait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Jusqu'à ce que deux événements presque simultanés viennent tout chambouler. D'abord, il y a cette mauvaise nouvelle personnelle : l'arrestation du neveu de Cheremetiev, coupable d'avoir critiqué vertement le régime sur son blog. Ensuite, le renvoi de l'intendant de la datcha, remplacé par une femme, Galina Ivanovna Barkovskaïa.
Alors que Cheremetiev réfléchit au moyen de tirer son neveu du mauvais pas dans lequel il s'est mis, la nouvelle responsable de l'intendance entreprend de régenter le fonctionnement de la datcha à sa manière, provoquant un mécontentement général chez les anciens. Et la sidération chez l'infirmier qui réalise soudain quelque chose qu'il n'avait jamais imaginé...
Il est le seul homme honnête de toute la datcha, de tout Moscou, de toute la Russie !
L'idée première qui attire l'attention, c'est évidemment de faire de Vladimir Poutine un vieillard sénile, le cerveau rongé par la maladie d'Alzheimer. Mais, si le comportement du président russe est un des éléments importants de l'histoire, il n'en est pas forcément le coeur. Non, ce qui prend le dessus, c'est la révélation de l'état de son pays aux yeux du très naïf Cheremetiev.
Volontairement, j'ai employé un peu plus haut une tournure qui rappelle le "Candide", de Voltaire et c'est vrai qu'il y a de ça, dans le fond, comme dans la forme. Dans le fond, parce que la datcha présidentielle est un havre de paix qui semble comme isolé du monde extérieur. Dans la forme, parce que "la sénilité de Vladimir P." a des allures de conte philosophique...
Cheremetiev, qui semble avoir vécu cinquante ans dans une bulle, imperméable à tout ce qui se passait dans son pays, voit les écailles brusquement lui tomber des yeux. Lui qui ne prêtait guère attention aux élucubrations de son patient, qui a l'habitude de soliloquer lorsque les hallucinations le prennent, se rend soudain compte que le vol est généralisé en Russie, à toutes les échelles.
De la gigantesque corruption de Vladimir Poutine et de ses proches, des méthodes mises en place pour mettre le pays en coupe réglée et amasser des millions et des millions, au système D d'une population qui fait ce qu'elle peut pour survivre, y compris en arrondissant ses fins de mois par des moyens pas très recommandables, c'est une situation ahurissante que découvre soudain l'infirmier.
Tout le monde vole allègrement son prochain, bricole, élabore ses petits arrangements entre amis, se sert dans l'assiette du voisin, détourne, planque, chourave, engourdit tout ce qui passe à portée de main. Et, parfois, pour des raisons très pragmatiques et presque justes : monter son affaire, gagner son indépendance financière et matérielle.
Tous, sauf Nikolaï Ilitch Cheremetiev !
Le choc est rude, forcément, et, même si les cas diffèrent grandement, de Vladimir Vladmirovitch au cuistot Stepanine, la pilule est difficile à avaler. Elle prend même la taille d'un ballon de foot, cette pilule, quand Cheremetiev se retrouve acculé et doit envisager à son tour d'enfreindre les lois pour aider son neveu...
Mais peut-il devenir, lui, Nikolaï Ilitch Cheremetiev, l'homme, le seul homme honnête de Russie, rompre avec sa propre morale et se muer en voleur et en corrupteur ? Une réflexion qui s'accompagne d'une autre révélation : la responsabilité de Vladimir Poutine, son patient, qu'il a toujours regardé avec bienveillance, dans cet immense foutoir.
A travers les dilemmes de Cheremetiev, Michael Honig dresse un portrait sans concession de la Russie. Pas celle des années 2030 et quelques, dans lesquelles se déroule son roman, mais bien celle que nous connaissons, installée depuis que Vladimir Poutine a pris le pouvoir à Boris Eltsine, au tournant du millénaire.
Les hallucinations du président sénile font office de flash-backs, ses forfanteries et ses rodomontades, lorsqu'il se croit encore en poste, lors de rares périodes de lucidité relative, les justifications des autres personnages évoluant autour de Cheremetiev, complètent le tableau d'un pays une nouvelle fois privé de ses libertés élémentaires et réduit, malgré sa puissance supposé, à l'état de coquille vide.
Derrière la dimension comique du roman, qui est réelle, le constat est effrayant, même lorsqu'on n'est pas dupe des agissements de Poutine et de sa clique. Et sans appel, pas seulement en ce qui concerne la corruption et l'accaparement des biens publics, mais aussi dans la traque aux opposants et le cynisme absolu d'un régime qui se pose en alternative à la puissance américaine...
Et puis, il y a la question tchétchène... Elle est obsessionnelle chez Vladimir Vladimirovitch, elle revient sans arrêt et déclenche des crises de rage au cours desquels le président retrouve tous ses réflexes de judoka ceinture noire... C'est dire si, dans ces moments-là, il faut se tenir à l'écart ou, puisque tel est le boulot de Cheremetiev, trouver les mots et les gestes pour le calmer...
Cette folie tchétchène est le running-gag du roman, réapparaissant régulièrement. Quand je dis gag, c'est un peu à double tranchant, car, vous le verrez, c'est un peu la conscience de Vladimir P. qui s'exprime alors et rappelle l'horreur de ces guerres meurtrières et de ses conséquences. Cette lutte sans merci lancée par le président envers cette république du Caucase, au dépens des civils...
Si l'humour se teinte souvent de noir et même d'une certaine gravité, Michael Honig sait parfaitement jouer avec son sujet. La personnalité médiatique de Vladimir Poutine, véritable Artaban slave, offre un terrain de jeu parfait pour ironiser : en témoigne une scène de promenade en forêt absolument hilarante, au cours de laquelle Vladimir retrouve toute sa vigueur d'antan.
A plusieurs reprises, le naturel revenant pas vraiment au galop mais en prenant de vitesse la maladie, il se comporte non seulement comme l'homme si puissant qu'il fut, mais aussi comme un sacré manipulateur d'opinion, jouant des médias pour fabriquer sa propre légende. Le lecteur, lui, est du mauvais côté du décor en carton-pâte, cette fois, mais, pour Vladimir, c'est par l'image que passe le pouvoir...
J'avais un peu peur que le livre ne consiste qu'à tourner Vladimir Poutine en ridicule. C'est un peu le cas, reconnaissons-le, en faisant de lui un personnage pitoyable et presque touchant dans sa déchéance. Mais, je ne trouve pas que la mise en scène de cette sénilité soit gratuite : elle sert non seulement le propos, mais aussi le déroulement de l'histoire, jusqu'à son terme.
Et puis, Michael Honig ne s'arrête pas à la personne de Vladimir P. Il s'amuse aussi avec la naïveté de Cheremetiev et sa découverte de l'immense bazar qui l'entoure. En particulier, il instaure un extraordinaire bras de fer entre la nouvelle intendante, Barkovskaïa, et le cuisinier Stepanine qui vaut son pesant de cacahuètes.
C'est une spirale qui monte comme on monterait des blancs en neige et c'est... j'allais écrire savoureux, mais ce n'est peut-être pas le mot tout à fait juste, étant donné les circonstances... Disons que c'est gratiné. Et cette succession de règlements de compte donne au roman de Michael Honig un petit air de scénario façon frères Coen.
Je me suis franchement amusé à cette lecture, pleine de très bonnes idées, plutôt bien agencées. L'histoire tient le choc jusqu'au bout, avec un épilogue à la hauteur. Et un personnage central, Cheremetiev, qui ne sera plus jamais le même. Une incarnation de la culpabilité de tout un peuple qui a oublié de se sentir coupable... Oui, on rit, mais on ressort tout de même en ressentant un certain malaise...
A 82 ans, Vladimir Vladimirovitch Poutine coulent des jours tranquilles dans une datcha située à quelques kilomètres de Moscou. Celui qui fut l'homme fort incontestable du pays pendant plus de deux décennies a pris du recul depuis quelques années. A vrai dire, il n'a pas choisi de passer la main, on l'a poussé discrètement sur la touche.
Car, petit à petit, ses facultés mentales l'ont abandonné... Le mot d'Alzheimer n'est jamais prononcé, mais on comprend au fil des pages que c'est ce mal qui touche l'ancien maître du Kremlin. Et, pendant que les chacals se disputent l'empire, le lion s'enfonce dans la maladie, alternant entre prostration, crise d'autorité comme au bon vieux temps, hallucinations et colère noire...
Pour veiller sur lui, un infirmier a été embauché, Nikolaï Ilitch Cheremetiev. Depuis six ans, il s'occupe jour et nuit de son célèbre patient, ne ménageant pas ses efforts, usant d'une patience d'ange et tolérant les brusques changements d'humeur de Vladimir. Il a appris les réactions du vieil homme, ses lubies et ses débordements, lui a instauré un rythme de vie idéal en attendant l'inexorable.
Cheremetiev n'est pas seulement compétent, c'est un vrai gentil, un homme bon qui ne s'est jamais soucié de politique et n'a donc pas d'avis sur la personnalité de l'homme qu'il soigne. D'ailleurs, ça lui est égal, peu importe que cet homme soit un monstre, un tyran, aujourd'hui, il a besoin de son aide et c'est la seule chose qui compte.
Vladimir et Nikolaï ne sont évidemment pas les deux seuls habitants de la datcha présidentielle. On a conservé son train de vie à l'ancien chef d'Etat et, pour cela, ont été embauché des gardiens, des jardiniers, des chauffeurs, un chef cuisinier avec toute sa brigade, un intendant qui gère le domaine... Un petit monde qui vit en parfaite harmonie dans ce cadre bucolique.
Cheremetiev ne se préoccupe guère de tout cela non plus. Depuis son veuvage, il a quasiment perdu de vue son fils et il ne se concentre plus que sur sa mission, presque son sacerdoce, aux côtés de Vladimir. Malgré l'ampleur de la tâche et la dégradation constante de l'état de son patient, tout pourrait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Jusqu'à ce que deux événements presque simultanés viennent tout chambouler. D'abord, il y a cette mauvaise nouvelle personnelle : l'arrestation du neveu de Cheremetiev, coupable d'avoir critiqué vertement le régime sur son blog. Ensuite, le renvoi de l'intendant de la datcha, remplacé par une femme, Galina Ivanovna Barkovskaïa.
Alors que Cheremetiev réfléchit au moyen de tirer son neveu du mauvais pas dans lequel il s'est mis, la nouvelle responsable de l'intendance entreprend de régenter le fonctionnement de la datcha à sa manière, provoquant un mécontentement général chez les anciens. Et la sidération chez l'infirmier qui réalise soudain quelque chose qu'il n'avait jamais imaginé...
Il est le seul homme honnête de toute la datcha, de tout Moscou, de toute la Russie !
L'idée première qui attire l'attention, c'est évidemment de faire de Vladimir Poutine un vieillard sénile, le cerveau rongé par la maladie d'Alzheimer. Mais, si le comportement du président russe est un des éléments importants de l'histoire, il n'en est pas forcément le coeur. Non, ce qui prend le dessus, c'est la révélation de l'état de son pays aux yeux du très naïf Cheremetiev.
Volontairement, j'ai employé un peu plus haut une tournure qui rappelle le "Candide", de Voltaire et c'est vrai qu'il y a de ça, dans le fond, comme dans la forme. Dans le fond, parce que la datcha présidentielle est un havre de paix qui semble comme isolé du monde extérieur. Dans la forme, parce que "la sénilité de Vladimir P." a des allures de conte philosophique...
Cheremetiev, qui semble avoir vécu cinquante ans dans une bulle, imperméable à tout ce qui se passait dans son pays, voit les écailles brusquement lui tomber des yeux. Lui qui ne prêtait guère attention aux élucubrations de son patient, qui a l'habitude de soliloquer lorsque les hallucinations le prennent, se rend soudain compte que le vol est généralisé en Russie, à toutes les échelles.
De la gigantesque corruption de Vladimir Poutine et de ses proches, des méthodes mises en place pour mettre le pays en coupe réglée et amasser des millions et des millions, au système D d'une population qui fait ce qu'elle peut pour survivre, y compris en arrondissant ses fins de mois par des moyens pas très recommandables, c'est une situation ahurissante que découvre soudain l'infirmier.
Tout le monde vole allègrement son prochain, bricole, élabore ses petits arrangements entre amis, se sert dans l'assiette du voisin, détourne, planque, chourave, engourdit tout ce qui passe à portée de main. Et, parfois, pour des raisons très pragmatiques et presque justes : monter son affaire, gagner son indépendance financière et matérielle.
Tous, sauf Nikolaï Ilitch Cheremetiev !
Le choc est rude, forcément, et, même si les cas diffèrent grandement, de Vladimir Vladmirovitch au cuistot Stepanine, la pilule est difficile à avaler. Elle prend même la taille d'un ballon de foot, cette pilule, quand Cheremetiev se retrouve acculé et doit envisager à son tour d'enfreindre les lois pour aider son neveu...
Mais peut-il devenir, lui, Nikolaï Ilitch Cheremetiev, l'homme, le seul homme honnête de Russie, rompre avec sa propre morale et se muer en voleur et en corrupteur ? Une réflexion qui s'accompagne d'une autre révélation : la responsabilité de Vladimir Poutine, son patient, qu'il a toujours regardé avec bienveillance, dans cet immense foutoir.
A travers les dilemmes de Cheremetiev, Michael Honig dresse un portrait sans concession de la Russie. Pas celle des années 2030 et quelques, dans lesquelles se déroule son roman, mais bien celle que nous connaissons, installée depuis que Vladimir Poutine a pris le pouvoir à Boris Eltsine, au tournant du millénaire.
Les hallucinations du président sénile font office de flash-backs, ses forfanteries et ses rodomontades, lorsqu'il se croit encore en poste, lors de rares périodes de lucidité relative, les justifications des autres personnages évoluant autour de Cheremetiev, complètent le tableau d'un pays une nouvelle fois privé de ses libertés élémentaires et réduit, malgré sa puissance supposé, à l'état de coquille vide.
Derrière la dimension comique du roman, qui est réelle, le constat est effrayant, même lorsqu'on n'est pas dupe des agissements de Poutine et de sa clique. Et sans appel, pas seulement en ce qui concerne la corruption et l'accaparement des biens publics, mais aussi dans la traque aux opposants et le cynisme absolu d'un régime qui se pose en alternative à la puissance américaine...
Et puis, il y a la question tchétchène... Elle est obsessionnelle chez Vladimir Vladimirovitch, elle revient sans arrêt et déclenche des crises de rage au cours desquels le président retrouve tous ses réflexes de judoka ceinture noire... C'est dire si, dans ces moments-là, il faut se tenir à l'écart ou, puisque tel est le boulot de Cheremetiev, trouver les mots et les gestes pour le calmer...
Cette folie tchétchène est le running-gag du roman, réapparaissant régulièrement. Quand je dis gag, c'est un peu à double tranchant, car, vous le verrez, c'est un peu la conscience de Vladimir P. qui s'exprime alors et rappelle l'horreur de ces guerres meurtrières et de ses conséquences. Cette lutte sans merci lancée par le président envers cette république du Caucase, au dépens des civils...
Si l'humour se teinte souvent de noir et même d'une certaine gravité, Michael Honig sait parfaitement jouer avec son sujet. La personnalité médiatique de Vladimir Poutine, véritable Artaban slave, offre un terrain de jeu parfait pour ironiser : en témoigne une scène de promenade en forêt absolument hilarante, au cours de laquelle Vladimir retrouve toute sa vigueur d'antan.
A plusieurs reprises, le naturel revenant pas vraiment au galop mais en prenant de vitesse la maladie, il se comporte non seulement comme l'homme si puissant qu'il fut, mais aussi comme un sacré manipulateur d'opinion, jouant des médias pour fabriquer sa propre légende. Le lecteur, lui, est du mauvais côté du décor en carton-pâte, cette fois, mais, pour Vladimir, c'est par l'image que passe le pouvoir...
J'avais un peu peur que le livre ne consiste qu'à tourner Vladimir Poutine en ridicule. C'est un peu le cas, reconnaissons-le, en faisant de lui un personnage pitoyable et presque touchant dans sa déchéance. Mais, je ne trouve pas que la mise en scène de cette sénilité soit gratuite : elle sert non seulement le propos, mais aussi le déroulement de l'histoire, jusqu'à son terme.
Et puis, Michael Honig ne s'arrête pas à la personne de Vladimir P. Il s'amuse aussi avec la naïveté de Cheremetiev et sa découverte de l'immense bazar qui l'entoure. En particulier, il instaure un extraordinaire bras de fer entre la nouvelle intendante, Barkovskaïa, et le cuisinier Stepanine qui vaut son pesant de cacahuètes.
C'est une spirale qui monte comme on monterait des blancs en neige et c'est... j'allais écrire savoureux, mais ce n'est peut-être pas le mot tout à fait juste, étant donné les circonstances... Disons que c'est gratiné. Et cette succession de règlements de compte donne au roman de Michael Honig un petit air de scénario façon frères Coen.
Je me suis franchement amusé à cette lecture, pleine de très bonnes idées, plutôt bien agencées. L'histoire tient le choc jusqu'au bout, avec un épilogue à la hauteur. Et un personnage central, Cheremetiev, qui ne sera plus jamais le même. Une incarnation de la culpabilité de tout un peuple qui a oublié de se sentir coupable... Oui, on rit, mais on ressort tout de même en ressentant un certain malaise...