Bêtes et artistes, un texte de Pierre Raphaël Pelletier…

Je m’esquinte à écouter des émissions à la télé où l’on traite des actualités politiques, ce qui est déjà très éprouvant. Toutes les informations sont archimanipulées par des forces qui contrôlent les médias en Amérique. À moins de croire à l’objectivité de ces informations, traitées à la manière de grands spectacles. Ce que l’on omet de dire à la télé pourrait certainement nous requinquer à résister aux manipulations tentaculaires de ces forces occultes dans notre quotidien, même le plus intime.

Un combat illusoire pour d’aucuns, car les bêtes du pouvoir qui nous encanaillent le font par des gestes erratiques qui commandent vénération et respect pour les modes de vie prodigués par le grand capital.

Bête du pouvoir. Bête tout court.

Entre l’étreinte de la rue et la fièvre des cafés, à écrire, à lire, à peindre, à marcher, à vadrouiller, à parler avec mes enfants, mes amis, les corneilles et les petites bêtes autour de moi, j’ai espoir qu’un jour toute cette beauté l’emportera sur le pouvoir de la bêtise, en commençant par la mienne.

Bras dessus, bras dessous, je respire mieux à nicher dans le maquis.

Un bleu de ciel bon enfant, c’est le printemps. Je rage de boire.

Pourtant, il n’y a pas de meilleure thérapie que le printemps. Le printemps, lui, a tout son temps.

À ripailler, à entrelacer, désirs, fiançailles et vivants. La danse verdoyante des vivants féconde la lumière. Tout est possible encore une fois.

Depuis trois semaines, Robert Théberge Trépanier, que j’estime grandement, ne répond plus de rien ni de personne.

On ne l’a pas vu non plus en ville, au marché ou au dépanneur du quartier. Comme plusieurs de ses amis, je m’inquiète, car je sais, quand il s’isole de cette façon dans son petit appartement qui lui sert d’atelier, qu’il peut peindre pendant des semaines sans se soucier de manger, de dormir ou de se laver.

Il en sort toujours très magané.

N’empêche, vous diront ceux qui s’intéressent à ses tableaux et qui en plus ont les moyens de se les payer, ce que Robert T. Trépanier peint dans ces états d’épiphanie transcende l’étrange pandémonium qu’est notre réalité. D’où cette étonnante « Vision tentaculaire d’Ottawa », peinte en 1974 dans un état d’illumination comparable à celle qui irradie l’œuvre des grands mystiques et poètes.

Loin des meutes et de leur beuglement, Robert poursuit sa virée d’enfant dans les rues de Vanier et de la ville d’Ottawa. Plusieurs des maisons qu’il peint échapperont, quelques décennies plus tard, à la destruction massive des quartiers populaires.

Extraits de : Pierre Raphaël Pelletier, Entre l’étreinte de la rue et la fièvre des cafés, Éditions David, 2012.

L’auteuralain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec

À la fois poète, romancier, essayiste et artiste visuel,Pierre Raphaël Pelletier a publié une vingtaine de livres touchant différents genres et réalisé plus d’une trentaine d’expositions (solos ou en groupe) de sculptures, de peintures ou de dessins. Il s’est aussi fait connaître par son implication dans un éventail d’organismes artistiques et culturels de la Francophonie canadienne comme l’Association des auteures et auteurs de l’Ontario français, dont il est l’un des membres fondateurs.

Vers la fin des années 1970, Pierre Raphaël, après une maîtrise en philosophie, tient diverses chroniques sur les arts visuels à la radio de Radio-Canada et pour le journal Le Droit. Entre 1977 et 1982, il est responsable des secteurs de l’animation culturelle et du Centre des femmes et Étudiant-e-s étrangers-ères de l’Université d’Ottawa. C’est à partir de cette époque qu’il réalise plusieurs études et recherches sur la situation des arts et de la culture en Ontario, notamment Étude sur les arts visuels en Ontario français (1976) et Étude des centres culturels en Ontario (1979). Jusqu’à la fin des années 1990, il aura aussi écrit des articles parus dans des revues, comme Le Sabord, Éducation et francophonie et Liaison.

Parmi ses publications, notons le recueil de poésie L’œil de la lumière(L’Interligne, 2007) pour lequel il remporte, en 2008, le Prix Trillium, le roman Il faut crier l’injure (Le Nordir, 1998), qui lui permet de gagner le Prix Christine-Dumitriu-Van-Saanen et le Prix du livre d’Ottawa-Carleton en 1999. Il est également l’auteur du récit Entre l’étreinte de la rue et la fièvre des cafés (David, 2012) et de l’essaiPour une culture de l’injure (Le Nordir, 1999) écrit en collaboration avec Herménégilde Chiasson. (Éd. David)