"La jalousie entre écrivains était le pire fléau de ce microcosme condescendant, étriqué, auto-satisfait, imbu de lui-même, où tout le monde se cooptait sans se lire et en faisant semblant de s'apprécier".

Et vlan ! Ca démarre fort ! Après Vladimir Poutine il y a quelques jours, nous allons voir d'autres personnalités passer à la moulinette de ce genre que j'aime bien (quand c'est bien fait) : la satire. On quitte la politique pour le domaine culturel et, pourrait-on ajouter, médiatique, avec un roman très drôle et assez vachard qui s'attaque aux écrivains. En France, dit-on, tout le monde veut être écrivain. Certains croient même pouvoir devenir riches et célèbres par ce moyen, alors que cela ne concerne qu'une infime minorité d'élus. Dans "Un bon écrivain est un écrivain mort" (paru aux éditions Mirobole), Guillaume Chérel a décidé de se moquer de ces auteurs célèbres qu'on voit partout et qui trustent les classements des meilleures ventes. Avec, au passage, un clin d'oeil appuyé à une célèbre romancière britannique et quelques caricatures bien senties de ces stars du monde du livre...
Ils sont dix. Dix heureux élus à avoir reçu une étrange invitation signée par un mystérieux "Un cognito" afin de se rendre au monastère de Saorge, dans les Alpes-Maritimes. Cet ancien couvent franciscain a été réhabilité et transformé en résidence d'auteurs depuis quelques années. Et, pour un weekend, il sera "the place to be" du microcosme littéraire français.
Autour d'Augustin Traquenard, chargé d'animer un fameux débat, la fine fleur de l'édition hexagonale, en tout cas, dix des auteurs les plus connus du moment : Amélie Latombe, Christine Légo, Delphine Végane, Tatiana de Roseray, Kathy Podcol, Jean de Moisson, Frédéric Belvédère, Michel Ouzbek, David Mikonos et Yann Moite.
Attention, on entend parler Littérature, avec un grand L, voilà pourquoi les deux plus gros vendeurs de livres du moment, Marc Levide et Guillaume Muzo, n'ont pas été conviés à ce raout germanopratin, délocalisé pour l'occasion dans un endroit aussi sauvage que sublime : entre Piémont et Ligurie, entre montagne et mer, entre Nice et Tende...
Pour arriver là, soit on prend une route de montagne plutôt escarpée, soit on se laisse conduire par la ligne de TER qui offre des points de vue absolument magnifiques, ce qui lui vaut d'être surnommée le Train des Merveilles. Parmi les dix invités d'honneur, certains ont choisi ce moyen de transport, qui n'est pas le plus confortable, d'autres s'y rendent par leurs moyens.
Une fois sur place, nos dix écrivains sont pris en charge par Francesco, le guide attaché au monastère, qui leur offre une visite guidée des lieux. Mais, il n'a aucune idée de qui est le mystérieux hôte capable de réunir un tel aréopage. Il sait seulement qu'il laissera les invités se débrouiller seuls dans l'ancien monastère une fois le débat terminé.
Un débat au cours duquel chacun entend bien faire son numéro habituel, afin de subjuguer un public déjà forcément acquis, ils n'en doutent pas. Chacun selon sa personnalité entend briller de mille feux, dans une ambiance à la fois chaleureuse et terriblement confidentielle. Et le succès lors de la séance de dédicaces devrait suffire à les départager...
Mais, lors de cette soirée orageuse, et pas seulement sur l'estrade, rien ne va se passer comme prévu. Le débat va tourner court et les écrivains vont se retrouver livrés à eux-mêmes dans le bâtiment isolé, qu'ils ne peuvent quitter avant la fin du weekend. Quarante-huit heures à cohabiter, ça n'a rien de si terrible, sauf pour ces enfants terribles à l'ego surdimensionné...
Tout est en place, le jeu de massacre peut commencer !
A ces quelques lignes, vous aurez sans doute déjà reconnu pas mal de monde, malgré ces patronymes imaginaires. Et puis, vous aurez certainement compris également à quelle romancière anglaise Guillaume Chérel faisait allusion... Oui, "Un bon écrivain est un écrivain mort" est un hommage aux "Dix petits nègres d'Agatha Christie", mais seulement pour le point de départ.
En effet, sans trop en dévoiler, il ne s'agit pas d'un calque du classique christien, mais d'une inspiration. Ce qui se passe à Saorge n'a ensuite qu'un lointain rapport avec les événements qui se déroulent sur l'île de Devon du roman originel. Et, d'une certaine façon, celui qui attaque le livre de Guillaume Chérel doit presque laisser de côté cette référence.
On a en main un roman qui flirte, et même un peu plus, avec le fantastique, pour mettre nos écrivains favoris dans des situations franchement délicates. Mais Guillaume Chérel (ou Guillaume Charal, pour rester dans le cadre du livre, puisque l'auteur y fait une apparition), s'il a repris certains aspects du livre d'Agatha Christie, a choisi de mener sa barque différemment...
Et la première des différences, c'est évidemment que l'on connaît les invités, en tout cas, que l'on devine qui est caricaturé à travers eux. Le lecteur n'est pas en terre inconnue et le développement repose sur la façon dont Guillaume Chérel va mettre en avant les travers de chacun dans son récit. Les travers, où l'image que nous avons d'eux.
Eh oui, ceux qui vont souffrir et qui nous saluent sont des personnages doubles : il y a l'être humain que, la plupart du temps, nous ne connaissons pas, et il y a l'être médiatique, avec lequel nous sommes plus familiers. C'est cette seconde personnalité qui est au coeur de cette satire, même si, parfois, on verra poindre de véritables traits de caractères.
Je dois dire qu'on prend un plaisir féroce à ces portraits pleins d'ironie qu'a concoctés Guillaume Chérel. On peut aussi s'agacer de certaines choses, quand cela touche tel ou tel qu'on aime bien, tandis qu'on s'esclaffe quand est visé tel autre, qu'on apprécie moins. Mais, à l'arrivée, ils sont coincés là, entre eux, et mis face à leurs défauts...
Si certains auteurs sont traités sans concession, d'autres ont droit à un "traitement de faveur". Je dois dire que Amélie Latombe est un personnage formidable, vrai moteur de cette histoire, à l'énergie inépuisable. Elle est sans doute celle qui ressort de cette affaire sous le meilleur jour, rappelant une Catherine Frot endossant le costume de Prudence Beresford, autre personnage d'Agatha Christie.
D'autres s'en tirent moins bien, allant de l'obséquieux à l'insupportable (ils sont plusieurs, dans ce coin-là...), en passant par l'éthérée ou le sale garnement. Espérons qu'ils sauront accepter l' "hommage" avec humour, car l'impertinence de Guillaume Chérel s'avère aussi très pertinente et fait mouche à tous les coups.
Reste ) se demander ce que cherche Guillaume Chérel avec ce livre, à part nous divertir (et risque de passer pour un jaloux aigri) ? A nous faire réfléchir sur la situation actuelle du monde littéraire français et à poser un constat qui, en cette période de remise de prix, nous interpelle forcément, nous simples lecteurs.
Et cela commence par ce titre, "Un bon écrivain est un écrivain mort", déjà utilisé en 2005 par Jean-Pierre Enard. Le point commun des deux ouvrages : la critique acerbe du monde littéraire tel qu'il va. Désormais, la littérature n'est pas l'objectif principal, mais c'est bel et bien de vendre des livres. Il n'y a plus vraiment d'écrivains, mais des auteurs, des faiseurs, à l'image des dix invités d' "Un Cognito".
Au coeur de la réflexion de Guillaume Chérel, l'opposition entre art et culture d'un côté, et divertissement, de l'autre. Les premiers demeurent artisanaux, l'autre est entré depuis belle lurette dans une phase industrielle qui écrase tout sur son passage. Après tout, six ces dix-là vendent autant, c'est parce qu'on les voit partout, tout le temps, et réciproquement.
D'un côté, on a des éditeurs qui cherchent les best-sellers, de l'autre, des lecteurs peut-être moins exigeants qu'ils ne devraient l'être. S'il y a matière à en faire un roman satirique, tout cela pourrait aussi servir au quotidien, sur les réseaux sociaux ou les forums de lecteurs, pour quelques vigoureux échanges. Car, ce que décrit Guillaume Chérel est plus que jamais dans l'air du temps.
Qu'on le juge sévère avec son "club des dix", il a au moins le mérite de poser de bonnes questions sur la littérature d'aujourd'hui. De son point de vue, les bons écrivains sont donc des écrivains morts et ceux qui vivent encore ne leur arrivent pas à la cheville. La dédicace rend d'ailleurs hommage à certains de ces auteurs que regrette Chérel, parmi lesquels Jim Harrison et Ayerdhal.
Le corollaire de ce constat, c'est que le niveau baisse constamment. Le niveau des écrivains, ou de  ceux qui se présentent ainsi, mais aussi celui des médias (Busnel et Ruquier, animateurs des deux émissions les plus prescriptrices du PAF en matière de livres, sont également bien égratignés dans le livre) et jusqu'aux lecteurs. Si vous ne les achetiez pas, ils ne se vendraient pas, pour reprendre Coluche...
Je ne suis pas forcément à 100% en phase avec les arguments de Chérel. Mais, s'il y en a un à retenir, c'est effectivement cette tendance que suit l'industrie du livre depuis un bon moment déjà, à devenir une industrie du divertissement avant d'être porteuse de culture. Mais, on peut lui opposer que ce sont aussi les lecteurs qui voient dans la lecture un divertissement pur, désormais...
J'ai beaucoup ri à la lecture de ce roman, je dois dire. Pas un rire méchant (enfin, pas toujours), mais de bon coeur, car tout est très bien vu, plein de surprises, aussi, avec un auteur qui se fait aussi démiurge. "Un bon écrivain est un écrivain mort", c'est un peu la collection de poupées vaudou de Guillaume Chérel...
Mais, là où je me suis énormément amusé, c'est dans les dernières pages. Je ne vais évidemment pas vous dire pourquoi, vous verrez bien, mais cette conclusion s'inscrit parfaitement dans la logique que décrit Guillaume Chérel au fil du roman. Et surtout, j'ai bien peur qu'il ait tout à fait raison, certaines sorties à venir apportant de l'eau à son moulin...
Et, quoi qu'il arrive, quels que soient nos choix de lecteurs, nos influences, puissions-nous, continuer à lire, à y prendre plaisir avant tout. Mais, surtout, ne soyons pas uniquement aimantés vers ce qui marche, ce dont on parle, ce qu'on met en tête de gondole, ce qu'on monte au pinacle. Soyons curieux et méfions-nous du marketing...