"On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans" (Arthur Rimbaud).

Ce fameux vers sert de titre à un des chapitres de notre roman du jour et il en illustre assez bien le récit, à condition de lui donner une tonalité bien amère. Après deux lectures satiriques qui m'ont bien fait rire, mais pas uniquement, j'ai laissé Vladimir Poutine et les dix écrivains les plus médiatiques du moment pour une lecture qui pouvait s'inscrire dans la même veine. Car Bessora, c'est notre romancière du jour, nous a habitués à des livres déjantés, frôlant l'absurde, traitant de sujets de société grave avec légèreté mais non sans profondeur. Pourtant, avec "le Testament de Nicolas", aux éditions La Margouline, si Bessora aborde un sujet grave, elle adapte son style et adopte un ton différent de ses précédents écrits pour aborder une histoire, hélas, au combien d'actualité : l'engagement djihadiste... Une fable sans fard qui n'épargne personne, pour raconter l'odyssée vers l'enfer d'un jeune homme un peu trop idéaliste. Et, plutôt qu'une satire, c'est un livre plus proche de "Je partirai pour les terres lointaines", de Paul Couturiau, récemment évoqué, que j'ai eu en main.
n'est sérieux quand dix-sept ans
Nicolas est un adolescent français, issu d'une famille modeste, vivant dans la seule HLM de sa rue, aux côtés de parents qui gagnent durement leur vie, s'usent à des tâches pénibles et peu valorisées. Son enfance et sa jeunesse n'ont pas été malheureuses, mais Nicolas étouffe dans cette famille et se sent mal dans cette société française si injuste.
Alors, Nicolas rêve d'un monde meilleur, d'un idéal qu'il voudrait suivre afin de travailler à la mise en place d'une société plus harmonieuse, moins inégalitaire, moins violente envers les faibles, moins porteuse d'exclusion, aussi. Et cet idéal, il pense l'avoir trouvé, dans la religion. Voilà pourquoi il a décidé de se convertir à l'Islam.
A travers l'enseignement du Coran, il pense avoir trouvé cette harmonie qu'il cherche désespérément. Il en est persuadé, seul Allah pourra l'apporter à l'ensemble de l'humanité, avec l'aide, comme lui, de jeunes femmes et hommes assez motivés pour porter sa parole. Auprès d'une association, il a commencé à apprendre la langue arabe, mais cela ne luis suffit toujours pas.
Non, la réalisation de son idéal doit passer par autre chose, une rupture, un changement radical. Voilà pourquoi Nicolas a décidé de tout laisser derrière lui, ses parents, sa soeur, son amour, son adolescence, pour s'en aller là où se rassemblent ceux qui aspirent, pense-t-il, au même changement que lui : en Syrie, où il compte bien faire son djihad.
Présenté ainsi, et étant donné le contexte dans lequel nous vivons, Nicolas risque fort de passer aux yeux des lecteurs pour un monstre. Un fanatique sans coeur et sans cervelle, enrôlé par des fous de Dieu. Mais, c'est un peu plus compliqué que cela. Nicolas est sincèrement persuadé du bien-fondé de son action, sa foi est profonde et intègre.
Il agit par idéalisme, véritablement. Sans penser à mal, sans se dire qu'il met le doigt dans un engrenage terrible et sans possibilité de retour. Oui, il sait que la mort peut se trouver au bout du voyage, il s'y est préparé, ou il croit l'être. Mais son véritable objectif est bien de changer le monde et de donner un sens à cette vie pépère et sans véritable horizon qu'il menait.
Mais il se trompe. "Le Testament de Nicolas", c'est ce cheminement depuis le domicile familiale jusqu'à son arrivée en Syrie. Et comment l'idéaliste un peu rêveur, franchement naïf, va découvrir la réalité du terrain. La violence, l'absurdité d'un totalitarisme religieux, le jusqu'au-boutisme d'une cause juste, puisqu'elle est d'essence divine...
"Le Testament de Nicolas", c'est surtout le récit d'une métamorphose, celle d'un gamin perdu, en quête de repère et d'avenir, révolté par le monde qui l'entoure et ne le satisfait pas. Au fil de son voyage initiatique, le gentil garçon va s'endurcir, passant pour cela par des épreuves terrifiantes. Comme un acier qu'on trempe pour le rendre plus dur, il va devenir un tout autre personnage...
Comment devient-on un martyr du djihad ? Comment peut-on, par idéalisme, par soif de justice, s'enrôler sous une banderole fanatique et totalitaire ? Comment, surtout, un être humain peut-il basculer dans la monstruosité, jusqu'à commettre les gestes, les actes les plus innommables, les plus inhumains ?
Voilà les questions que pose le court roman de Bessora (format proche du poche, moins de 200 pages), à travers le parcours de Nicolas. Le choix d'en faire le narrateur ajoute une sensation de malaise supplémentaire, comme si on assistait à tout cela en "caméra embarquée". Il y a d'ailleurs un peu de cela : comme un effrayant documentaire dont nous serions les spectateurs, ahuris et fascinés.
Les chapitres sont courts, les phrases sont brèves, incisives, sans fioriture. On sent chez Nicolas la volonté sans faille, la détermination à laquelle rien ne peut s'opposer. Oh, des doutes, il y en aura, forcément, mais vite balayés. Et pourtant, sa nouvelle vie, par bien des aspects, est bien moins confortable que celle qu'il a laissée derrière lui.
Son monde meilleur, celui dont il rêve, reste encore une hypothèse. Et, avant d'y parvenir, il va lui falloir donner du sien. Se plier aux ordres, se montrer humble, apprendre, renoncer à ce qu'il est, se dépouiller de cet idéal qu'il est pourtant parti défendre pour endosser un tout autre costume, une toute nouvelle existence... Et pas seulement parce qu'il aura changé de nom...
Bessora décortique cette mutation avec précision, sans jugement, sans concession, aussi. Chacun en prend pour son grade : la France et sa société qui dysfonctionne, les recruteurs et passeurs, assez courageux pour monter la tête à de jeunes gens influençables, mais pas pour aller risquer leur propre vie, les fanatiques les plus durs, qui dévoient la religion pour en faire une arme de destruction massive...
L'indifférence des uns, de ces sociétés matérialistes qui n'en finissent plus de perdre leur humanité, de dissoudre les liens sociaux, la récupération des autres, à l'affût, offrant un idéal séduisant à tout point de vue, la possibilité d'accomplir un destin inespéré... Mais ce sont des loups déguisés en agneaux qui sont là, et leur responsabilité dans le drame est tout aussi écrasante...
Reste l'inexplicable : ce qui peut pousser un jeune homme qui veut embellir la vie à devenir un instrument de mort. La démonstration de Bessora est parfaite, mais je n'arrive pas à comprendre ce déclic, comme je ne le comprendrais pas plus dans d'autres circonstances, au nom d'une autre religion, d'une autre idéologie...
C'est le quatrième (seulement ?) roman de Bessora que je lis ("Cyr@no", d'ailleurs lui aussi réédité à la Margouline, a fait l'objet d'un billet sur ce blog) et, si j'ai retrouvé la verve, la langue, la plume de la romancière dans "le Testament de Nicolas", j'ai vu que son sens de la dérision et de l'absurde s'était comme effacé.
Sans doute le sujet, sans doute le destin de Nicolas, sans doute ce dénouement qu'on repousse, qu'on rejette, qu'on devine inéluctable, expliquent-ils cela : ils portent en eux-mêmes toute l'absurdité du monde. J'ai souvent ri en lisant les livres de Bessora, qui sait jouer de l'humour noir dans toutes les situations, mais pas celle-là.
Le sujet est hautement sensible, il convient de l'aborder avec tact, et ici, c'est réussi. Nicolas n'est pas un archétype ou une caricature. C'est un gamin perdu lancé sur une route pavée de briques jaunes et de bonnes intentions. Un Candide dont les Pangloss visent un meilleur des mondes à faire pâlir Aldous Huxley...
Pendant ma lecture, je n'ai relevé aucune phrase pouvant servir de titre au billet, comme je le fais habituellement. Mais je gardais en tête le vers de Rimbaud, qui colle si bien à Nicolas. Et puis, soudain, je me suis dit que le lien entre le personnage de Bessora et le poète allait sans doute plus loin que ces quelques mots, si fameux.
La quête d'idéal est commune aux deux garçons, comme le départ, même si celui d'Arthur sera plus tardif. Les terres choisies par le poète pour son exil volontaire sont également mouvementées, et l'on le réduira sans doute longtemps à ce trafic d'armes, quand ce n'est pas aux rumeurs de traite négrière. Le premier est avéré, la seconde est certainement fausse.
Et puis, il y a le lien à l'Islam, qui, là encore, fait l'objet de tant de bruits, de rumeurs. Se convertit-il ou se contenta-t-il de la lecture assidue du Coran ? Le sujet idéal pour faire couler beaucoup d'encre, surtout par les temps qui courent... Peu importe, car le véritable lien que je vois entre Arthur est Nicolas, finalement, il est dans ce poème qui commence par cette célèbre sentence :
"On n'est pas sérieux quand on a 17 ans".
J'ai lu ce texte avant d'attaquer ce billet, je viens de le relire au moment de le conclure, et je vous encourage à faire de même. 17 ans... L'âge de tous les possibles, l'âge où il est si bon de tomber amoureux et de surfer sur cette douce euphorie... 17 ans... L'âge d'or, et certainement pas l'âge de mort. Pour quelque cause que ce soit...