Je m'attendais, en débutant la lecture de Dans les griffes du Tigre, à un récit aride, abrupt pour la béotienne que je suis en matière d'opérations militaires, et je redoutais d'être confrontée à l'incompréhension.
Ces craintes ont rapidement été désamorcées par l'effort de pédagogie réalisé par l'auteur, qui n'hésite pas à étayer son récit de notes explicatives : ainsi, on se familiarise rapidement avec les bases, suffisamment pour pouvoir comprendre les enjeux des différentes situations évoquées par la suite.
D'ailleurs, la préface rédigée par Jean Guisnel permet également d'appréhender l'importance de ce qui suit, en précisant que "l'utilisation de l'arme aérienne par les forces terrestres [...] est devenue une dimension essentielle des conflits modernes" : voilà qui paraîtra évident aux connaisseurs, mais qui constituait pour moi un bon point de départ (comme je le laissais entendre, je partais donc d'un niveau zéro dans le domaine, ce qui devrait rassurer tout lecteur : même une ignorante de mon acabit a pu raccrocher les wagons!).
Avec toujours beaucoup de pédagogie, l'auteur nous relate plusieurs scènes en Afghanistan, et, notamment, la première fois qu'il a été conduit à tuer. Et, d'une manière qui sera employée dans le reste du livre, à la description factuelle des événements succède l'analyse de son ressenti, des différentes émotions et réactions que la situation a suscité, et ce qu'il en a tiré. Ce cas était précisément troublant, car la frappe était offensive, ne consistait donc pas à défendre des forces à terre par exemple, et, comme on peut l'imaginer, ne l'a donc pas laissé de marbre.
Au-delà de ces scènes, qui sont en soi impressionnantes (me figurer que des hommes sont confrontés à ces décisions-là lorsque mon quotidien professionnel est fait de "Alors, plutôt 2 ou 2.2% d'augment cette année?" ou encore "Et oui, il faut passer par le réseau de soin pour obtenir un full remboursement des lunettes...", voilà qui me fait un peu relativiser les enjeux de mon job...), l'intérêt du récit réside à mon sens dans les réflexions qu'il engendre.
Ainsi est-il question du rôle du chef, largement interrogé, de par l'importance de l'exemplarité en particulier (le chef, quoi qu'il advienne, ne montre aucune peur), ou de la solidarité, de l'esprit d'équipe qui prennent un sens capital dans le contexte de ces conflits : l'auteur décrit comment ces autres deviennent moteur, et constituent une clef essentielle dans le succès des différentes opérations.
Un autre sujet qui a attisé mon intérêt consistait dans cette dichotomie entre l'excitation provoquée par la perspective d'être envoyé sur le terrain, et d'autres considérations : lorsque l'auteur est appelé en Libye, il l'exprime en soulignant qu'il sait alors que cette mission signifie qu'il va devoir de nouveau quitter sa famille pour une durée indéterminée, mais, lors de l'annonce, il est avant tout transporté par l'adrénaline. L'exemple illustre bien, je pense, une singularité des hommes et des femmes qui servent, et se distinguent du "commun des mortels", en ce qu'ils savent défendre une cause fondamentale.
Je ressors du récit un peu égarée, un peu agitée, mes repères bousculés. Et l'envie de mettre ce livre entre d'autres mains aussi novices que les miennes, pour que le sujet ne soit pas aussi confidentiel et méconnu qu'il peut l'être aujourd'hui.
"Je me demande parfois si l'habitude est un concept que l'on peut appliquer au fait de tuer."
"Dans un monde qui a perdu le contact avec la tragédie de la guerre, aucun non-combattant ne peut imaginer la transformation radicale qui s'opère chez nos soldats après avoir vécu de tels moments."
"Taire sa peur est une façon de protéger le groupe avant l'action. Et chacun, à son propre niveau, a une bonne raison de la dissimuler.
Un chef n'a pas le droit d'afficher sa peur car il représente un véritable indicateur de la conduite à suivre pour ses subordonnés [...] Au-delà de son idéal, le chef trouve le courage dans celui de ses hommes. C'est à la fois pour maintenir son image qui se veut inspiratrice et pour ne pas se décrédibiliser qu'il ne parle pas de sa peur."
"Le courage et la combativité du groupe sont proportionnels à son niveau de cohésion et non à la performance de tel ou tel appareil. [...] Je crois fermement que l'efficacité des combats menés en Libye est due pour une grande part aux liens très forts qui unissaient les équipages."
"Mais la société française semble jeter un regard distrait sur ceux de ses membres qui ne cherchent rien moins que de la servir."
"Combien d'hommes peuvent se targuer d'écrire l'Histoire, sinon d'en être acteur?
Qui aujourd'hui vit intensément, non pas au travers d'un écran mais en ressentant les choses réellement?
Qui est prêt à accepter la peur, le contact avec la mort, le sacrifice de sa famille pour la maigre gloire personnelle qu'est la fierté de servir son pays?"