Petit pays · Gaël Faye

Petit pays · Gaël FayeDepuis sa parution, je vois ce roman partout sur la blogosphère et sur Instagram. Habituellement, je suis insensible à la trop grande visibilité. Mais le fait qu’il s’agisse d’un premier roman, qu’il est question du Burundi et du Rwanda, des Hutus et des Tutsis, eh ben, j’ai succombé. Et j’ai bien fait!
Gabriel vit en exil dans la région parisienne depuis vingt ans. Ce métis franco-rwandais d’une trentaine d’années se souvient...
Plongée dans le Burundi du début des années 1990. Pour Gabriel, dix ans, la vie suit son petit bonhomme de chemin, paisible et joyeuse. Il vit dans un quartier ouaté d’expatriés, aux côtés de son père français, de sa mère rwandaise et de sa petite sœur Ana. Avec sa gang d’amis, il refait le monde à l’arrière d’un combi abandonné, fume des cigarettes, dévore des mangues. Et il aime Laure, la petite Française d’Orléans avec qui il entretient une correspondance.
Le quotidien de Gabriel commence à se fissurer lorsque ses parents se séparent. Puis, les premiers échos de la guerre civile se font entendre. L’incompréhension, la méfiance, l’angoisse, la peur permanente vont dorénavant imprégner son quotidien.
Cet après-midi-là, pour la première fois de ma vie, je suis entré dans la réalité profonde de ce pays. J’ai découvert l’antagoniste hutu et tutsi, infranchissable ligne de démarcation qui obligeait chacun à être d’un camp ou d’un autre. Ce camp, tel un prénom qu’on attribue à un enfant, on naissait avec, et il nous poursuivait à jamais. Hutu ou tutsi. C’était soit l’un soit l’autre. Pile ou face. Comme un aveugle qui recouvre la vue, j’ai alors commencé à comprendre les gestes et les regards, les non-dits et les manières qui m’échappaient depuis toujours. La guerre, sans qu’on lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu. J’étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais.
Le génocide rwandais éclate. Gabriel est brutalement expulsé du royaume de l’enfance. L’insouciance des jours est terminée. La violence se propage comme une traînée de poudre. Grâce aux livres que lui prête la vieille Grecque aux teckels, Gabriel trouve refuge dans la littérature. «Dans mon lit, au fond de mes histoires, je cherchais d’autres réels plus supportables, et les livres, mes amis, repeignaient mes journées de lumière.» Le jour vient où Gabriel est contraint à l’exil, poussé vers l’avant pour échapper à la mort.
Vingt ans plus tard, il remet les pieds au Burundi, sur les traces de son passé. Si le Burundi de son enfance n’est plus, les souvenirs, eux, sont omniprésents. Et lorsque Gabriel entend cette petite voix qui murmure dans l’ombre d’un bar, le passé vient subitement s’entremêler au présent.
Petit pays · Gaël Faye
Ce Petit pays vu à travers les yeux d’un enfant m’a agréablement surprise. Avant d'être un roman sur le conflit ethnique au Burundi et le génocide rwandais, le premier roman de Gaël Faye m’apparaît comme un roman d’apprentissage: l’histoire d’un enfant forcé de devenir trop rapidement un homme.
L’intrigue progresse en douceur, la légèreté du début cédant progressivement la place à l’angoisse insoutenable. C’est par le personnage de la mère de Gabriel que toute l’horreur de cette tragédie devient tangible. Partie au Rwanda à la recherche des membres de sa famille, elle se bute aux cadavres qu’elle découvre. Jamais elle ne s’en remettra.

Les échanges sur la lecture, entre Gaby et Mme Economopoulos, la vieille expatriée grecque qui vit au milieu de ses livres et de ses teckels, sont savoureux.

- Vous avez lu tous ces livres? J’ai demandé.- Oui. Certains plusieurs fois, même. Ce sont les grands amours de ma vie. Ils me font rire, pleurer, douter, réfléchir. Ils me permettent de m’échapper. Ils m’ont changée, ont fait de moi une autre personne.- Un livre peut nous changer?- Bien sûr, un livre peut te changer! Et même changer ta vie. Comme un coup de foudre. Et on ne peut pas savoir quand la rencontre aura lieu. Il faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis.
Rien à redire sur le style imagé de Gaël Faye. Les jolies tournures de phrases foisonnent et plusieurs images frappent l'esprit, comme celle-ci: «Il semblait toujours que quelques larmes s’apprêtaient à trébucher sur une de ses joues.» Habituellement, les fins ouvertes m'agacent. Ici, j’ai trouvé qu’elle était parfaitement appropriée.
Le premier roman de Gaël Faye aurait pu passer inaperçu, comme plusieurs autres premiers romans d'une aussi grande qualité. Cela aurait été dommage. Mais crier au chef-d'oeuvre? Wô les moteurs! Petit pays est certes un beau et bon roman, sans failles ni faiblesses. Seulement, je ne lui ai pas trouvé toutes les qualités qu'on lui prête. N'empêche, je l'ai beaucoup aimé ce roman. La preuve? Quatre étoiles sur cinq, ça fait déjà beaucoup de qualités, non?!  Petit pays, Gaël Faye, Grasset, 224 pages, 2016.© Goran Tomasevic.