(C’est avec plaisir que nous accueillons une collaboration de l’écrivain Marc-André Lévesque. A.G.)
Crédit photo : Caroline Gagnon
Les mois de novembre font partie des moments les plus pénibles de l’année. Comme si des souvenirs contradictoires me hantaient en venant s’échouer sur les plages de mon enfance. Je souris mais derrière mes sourires il y a des images qui empêchent leur entière expression. Des corps au bas de falaises érigées par d’inutiles bagarres, des mots involontaires qui tuent les moments de bonheur, des jambes qui dansent au bout d’une corde raide, des décors de cauchemars dans des rêves d’enfant faits d’astres informes d’un début de monde, le vent qui fait jaillir les vagues mêlées au varech et aux feuilles mortes, les cris amers d’une coureuse des grèves et le vent du nord qui pousse vers la rive les amours éperdues. Les mois de novembre sont pénibles, c’est le renouvellement des idées solidement ancrées au fond de nous qui nous empoisonnent la vie. Et puis, la mort qui guette nos corps en déformation…
Un train
Un train de banlieue défile dans le paysage. Il passe au milieu de l’île, juste à côté de mon regard. Quelqu’un, dedans, lit un roman. Elle est habituée. Au début, elle regardait, mais l’habitude a baissé sa tête au niveau d’une lecture assidue. Les décors bougent avec lenteur, c’est un TPV (train à petite vitesse), qui ira porter le corps de cette passagère à destination, Sainte-Thérèse. Elle débarquera, ira vers son auto stationnée quelque part et arrivera chez elle juste au moment où ses enfants finiront de lire : Le train du Nord, un triller pour enfant en manque de parents. Pendant que tout ceci se passe, le père s’est embarqué vers la même destination, il passe en train au beau milieu des paysages, je le vois, et il va retrouver sa femme et ses enfants qu’il quittera encore le lendemain. Être quitté est devenu une habitude de société : on quitte pour le travail, pour un autre pays, pour un autre homme ou une autre femme. On change même d’heure pour quitter plus tôt ou plus tard selon le cas.
Ton absence
J’ai retracé les objets de ton absence. Ces vêtements jetés pêle-mêle sur le dossier d’une chaise dans la chambre ; ce livre qui gît inutile sur la petite table du salon ; le pot vide dans l’armoire de cuisine, tu y déposais des sous au cas où ; des souliers oubliés à l’entrée de l’appartement ; une note collée sur la porte du réfrigérateur, ta dernière liste d’épicerie ; un cendrier à demi plein ; un vieux parapluie démembré et ce chat qui me regarde en miaulant. Tu as glissé dans le temps en disparaissant sans laisser d’explication. Même lorsque tu parlais de projets, rien ne laissait soupçonner que ton absence en était un. Rien. Ton absence s’est simplement présentée à moi comme un hasard de la vie. Comme notre rencontre. La tristesse a fait place à la déception. J’ai laissé tes traces aux mêmes endroits où tu les avais placées. Bientôt, je les enlèverai en gardant en moi les souvenirs de nos égarements. Sur ton lit d’hôpital, j’ai serré tes mains glacées dans les miennes avant que l’on vienne chercher ton corps pour l’amener dans une partie fermée de ma mémoire.
L’auteur
Né à Saint-Ulric, près de Matane, sur la rive sud du fleuve, j’ai été créé par les images de ce désert d’eau qui change de forme selon les saisons. Je lancerai bientôt (le 23 novembre) Des mots sur des couleurs, mon premier recueil de récits, en collaboration avec l’artiste peintre Pierre Morin de Varennes qui appartient, tout comme moi, aux paysages de la Matanie, mon pays, mes amours.