À quoi bon se coller deux cratères sous les yeux pour rendre à l’heure un mémoire, alors que les trois clampins, qui prendront la peine de jeter un œil dessus, se contenteront de l’introduction et de la conclusion pour s’en faire une idée ? L’intro, ça fait un bail qu’elle est faite, et même si elle n’est pas aussi jolie qu’on l’aurait voulue, qu’il reste deux-trois fautes d’orthographe dedans, les chirurgiens ont beau agiter leur bistouri, les relecteurs leur stylo rouge et leur tipp-ex, personne ne pourra plus la changer.
L’intro, on l’a rangée au fond d’un tiroir qu’on ne rouvre que certains soirs, histoire de chialer un bon coup et ne pas avoir à se relever toute la nuit pour pisser notre trop-plein de larmes, ou le dimanche après-midi, en famille, pour nous donner de quoi rire autour d’un chocolat chaud, d’une tranche de ramen et de miettes de « tu te souviens ? ». Tu te souviens, de tous ces jeux débiles qui n’avaient pas de sens mais qu’on prenait notre pied à inventer ensemble ? Tu te souviens, de toutes ces histoires absurdes qu’on se racontait et auxquelles on croyait dur comme fer ? Tu te souviens comme on se foutait bien d’être cohérents et comme ça faisait marrer les grands ? Comme on n’avait pas besoin de tartiner de crème miracle sous nos mirettes, qu’elles brillaient encore assez pour ne jamais laisser de cernes se creuser en dessous ? Comme on ne passait aucune nuit blanche à traquer un raisonnement logique qui aurait su justifier chacune de nos transitions ?
L’intro est imprimée, reliée, archivée ; la conclusion, on n’est pas pressés de la voir pointer son point final à la fin du mémoire : il ne nous reste que ce développement, dans lequel on s’empêtre comme on n’est pas foutus d’y tenter un dérapage pour s’éclater un peu, même si c’est contre un mur. Tu sais, à chercher la note juste, le bon accord, l’harmonie parfaite, on esquive peut-être deux-trois os et quatre-cinq bleus aux genoux en même temps, mais on n’évite jamais la mâchoire de l’absurde qui se referme sur toutes nos questions de grands cons qui ne savent plus se souvenir.
Tu te souviens ? Comme on ne savait rien, pas plus qu’aujourd’hui, mais qu’à l’époque ça nous suffisait ? Comme on se moquait, sans même prendre la peine de nous cacher sous le préau de la cour de récré, de l’introduction, de la conclusion, du passé, du futur, qu’on fonçait tête baissée dans le vif du sujet et dans le présent qu’on imaginait rien que comme on le voulait, et que ses portes fermées nous faisaient même pas mal en fait ? Comme on avait toujours les yeux plus gros que le ventre, et qu’on en n’avait strictement rien à faire de l’animal trop mignon qu’avait été jadis le rôti du dimanche midi, du pays dont il provenait, des types exploités qui l’avaient torturé, ou même qu’il soit mort pour remplir nos panses de petits cons ? On bouffait à tous les râteliers, et le gâteau au chocolat, on le terminait en moins de temps qu’il ne lui fallait pour nous menacer de passer les dix années à venir dans notre popotin.
Tu te souviens ? Comme le bonheur, c’était facile ? Il suffisait de sourire assez pour que les grands y croient, de sourire si fort qu’on finissait par nous persuader aussi qu’on était heureux.
Notice biographique
Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture. C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.