L'intrigue de Chanson douce peut se résumer en une phrase: une nounou assassine les deux enfants dont elle a la garde et tente de s'enlever la vie. La première phrase? "Le bébé est mort." Glauque? Morbide? J'avoue que oui. Mais passé ce premier chapitre éprouvant, on plonge dans la vie de Myriam et Paul, un couple de Parisiens. Immersion dans leur quotidien, avec des hauts et des bas.
Myriam a terminé des études de droit, mais n'a jamais exercé. Elle a eu Mila et est restée à la maison. Après l'arrivée d'Adam, son deuxième enfant, le quotidien commence à lui peser. La rencontre, puis la proposition de travail de Pascal, un ancien étudiant maintenant avocat ayant son propre cabinet, lui apporte la bouffée d'air dont elle a besoin. Maintenant, il reste à trouver une nounou pour les enfants.
Paul et Myriam rencontrent quelques femmes avant d'arrêter leur choix sur Louise. Louise est bien sous tous rapports et les enfants s'attachent vite à elle. Il faut dire que Louise est une perle: elle cuisine comme un chef, la maison des Massé est spic and span, elle s'amuse à quatre pattes avec les enfants. Paul et Myriam réalisent toute la chance qu'ils ont.
Lorsqu'elle n'est pas chez la famille Massé, Louise vit seule dans un minuscule appartement en périphérie de la ville. Sa fille Stéphanie a fugué. Son mari Jacques est mort, lui laissant un tas de dettes à payer. Le fisc court d'ailleurs après elle pour récupérer un peu d'argent. Louise a déjà passé du temps en institut psychiatrique. Depuis qu'elle est sortie, elle n'a jamais manqué de travail. Louise, tout ce qu'elle veut, c'est se sentir moins seule, être aimée et appréciée. Qu'elle compte pour quelqu'un. À force de se faire traiter de nulle par sa fille et de carpette qui ramasse "la merde et le vomi des mioches" par son mari, Louise a l'estime de soi dans les talons.
Paul et Myriam commencent à regarder Louise de travers. Ses gestes et ses bonnes intentions les indisposent de plus en plus. " Paul et Myriam ferment sur elle des portes qu'elle voudrait défoncer. Elle n'a qu'une envie: faire monde avec eux, trouver sa place, s'y loger, creuser une niche, un terrier, un coin chaud."
Voyant les enfants grandir, Louise réalise qu'elle perdra bientôt sa place chez les Massé. De plus en plus lasse et irritable, elle se laisse bercer par des refrains de plus en plus morbides. "Plus rien ne parvient à l'émouvoir. Elle doit admettre qu'elle ne sait plus aimer. Elle a épuisé tout ce que son cœur contenait de tendresse." Que fera-t-elle? Où ira-t-elle? Une solution s'impose à elle...
Je désirais lire Chanson douce bien avant l'attribution du Goncourt (moi et les prix, ça fait deux). Paraîtrait que c'est un roman dur, éprouvant. Je voulais en juger par moi-même. Je voulais surtout tenter de comprendre comment on peut en arriver à tuer des enfants de son plein gré, voir une solution dans ce geste morbide.
S'il n'y avait ce premier chapitre qui révèle le clou de l'intrigue, le roman aurait une toute autre portée. Il ne serait pas moins fort, mais assurément moins percutant. En apprenant dès la première ligne de quoi il en retourne, la suite ne peut qu'être plus douce.
Malgré l'atrocité du geste posé par Louise, j'ai été incapable de la détester. Entendons-nous bien, rien n'excuse ce geste. Il est impardonnable, inqualifiable. Mais à découvrir quelle vie elle a eue, on comprend mieux. Louise a tout perdu. Elle sent qu'elle est sur le bord de perdre le peu qu'elle a: une "famille d'adoption" et, par le fait même, une raison d'exister. Si quelqu'un s'était arrêté, avait pris le temps de l'écouter, de lui faire une petite place dans sa vie, plutôt que de toujours la regarder de haut ou de biais...
Outre la nounou et la mère de Paul qui sortent du lot, j'ai trouvé que l'ensemble des personnages frôlait la caricature: les parents superficiels dévorés par l'ambition, qui veulent être à la hauteur de l'image qu'ils se font d'une belle et bonne vie. Les enfants: un cliché sur quatre pattes. Emma, l'amie de Myriam...
[...] Tous les jours ou presque, Myriam reçoit une notification de la part de son amie Emma. Elle poste sur les réseaux sociaux des portraits au ton sépia de ses deux enfants blonds. Des enfants parfaits qui jouent dans un parc et qu'elle a inscrits dans une école qui épanouira les dons que, déjà, elle devine en eux. Emma est belle, elle aussi, sur ces photographies. Son mari, lui, n'apparaît jamais, éternellement voué à prendre en photo une famille idéale à laquelle il n'appartient que comme spectateur. Il fait pourtant des efforts pour entrer dans le cadre. Lui, qui porte la barbe, des pulls en laine naturelle, lui qui met pour travailler des pantalons serrés et inconfortables.
Leïla Slimani dresse un portrait impitoyable sur la conciliation travail-famille. À ce titre, les mots de l'enseignante de Mila sont sans appel.
Lorsque Myriam s'est excusée d'avoir manqué les dernières réunions et d'avoir envoyé Louise à sa place, la maîtresse aux cheveux gris a fait un large geste de la main. "Si vous saviez! C'est le mal du siècle. Tous ces pauvres enfants sont livrés à eux-mêmes, pendant que les deux parents sont dévorés par la même ambition. C'est simple, ils courent tout le temps. Vous savez quelle est la phrase que les parents disent le plus souvent à leurs enfants? "Dépêche-toi!" Et bien sûr, c'est nous qui subissons tout. Les petits nous font payer leurs angoisses et leur sentiment d'abandon."
La fin du roman m'est apparue beaucoup trop expéditive. Comme si la boucle n'était pas bouclée. Trop de questions demeurent sans réponses.
Chanson douce n'est pas un roman gai, c'est le moins que l'on puisse dire. Une lecture éprouvante, certes, mais qui m'apparaît nécessaire pour toutes les réflexions qu'elle soulève. De mon côté, je me questionne de plus en plus sur le mode de vie effréné que je mène, me demandant si, au fond, je ne cours pas après du vent!