Butcher's crossing · John Williams
Par Marie-Claude Rioux
En 1873, Will Andrews a vingt-trois ans. Issu d’une bonne famille, il mène une vie paisible à Boston. Las de ses études à Harvard, inspiré par Emerson selon qui le contact avec la nature fait ressortir le meilleur de soi, une soif de liberté et une quête de son «moi immuable» s’emparent de lui. Il réunit un petit pécule, monte en scelle et se rend à Butcher's Crossing, dans le Kansas, à la recherche de J.D. McDonald. Cet homme d’affaires prospère, qui fait le commerce des peaux de bison, le met en contact avec Miller, un chasseur chevronné. Will veut participer à une expédition de chasse. Il sort son magot et finance le projet.Le problème, c'est que les bisons sont de plus en plus rares, ayant été pratiquement tous exterminés. Selon Miller, il en resterait un dernier troupeau caché au creux d’une vallée dans les Rocheuses du Colorado. Lui seul connaît son emplacement. L’expédition s’organise. Pendant que Miller rassemble le matériel et recrute un écorcheur de peau, Will fait la connaissance de Francine, une prostituée qui s’entiche de lui.Lorsque tout est prêt, Will, Miller et son bras droit manchot Charley Hoge, ainsi que Fred Schneider, l'écorcheur grincheux et bourru, se mettent en route. Le voyage est parsemé d’embûches. L’odyssée se révèle périlleuse. L’entêtement de Miller à vouloir abattre tous les bisons met en péril la survie du groupe. Chacun perdra des plumes au cours de cette folle expédition. L’un d’entre eux fera plus qu'en perdre: c'est la vie qu'il perdra. Presqu'un an s’est écoulé lors de leur retour à Butcher's Crossing. La ville est en décrépitude, à l’abandon. Presqu’une ville fantôme.
- Mais qu’est-ce qui a pu se passer en un an?
- Vous vous souvenez du castor? Vous chassiez bien ces bêtes-là, avant? Quand ils ont arrêté de porter des chapeaux en castor, impossible de refourguer les peaux, même pas è l’œil. Eh bien! On dirait que tous ceux qui voulaient leur manteau en bison ont fini par l’obtenir, et plus personne n’en réclame. Pourquoi ils les voulaient au départ, ça, je n’en sais rien; on ne peut jamais vraiment se débarrasser de la puanteur.
- Mais en à peine un an…
McDonald haussa les épaules.
- Ça nous pendait au nez. Si j’avais été sur la côte est, je l’aurais vu venir. Attendez quatre ou cinq ans, peut-être que vous trouverez quoi faire avec le cuir.
Will a «traversé la moitié du continent à la rencontre d’une contrée sauvage où il rêvait, comme dans une vision, de trouver son moi immuable. Il reconnaissait désormais, presque sans regret, l’orgueil qui était à l’origine de ses passions».
Will n’a peut-être pas trouvé ce qu’il cherchait, mais nul doute que cette expédition l’a transformé à jamais.Ce roman de John Williams m’a fait envie dès que j’ai aperçu sa couverture. J'avoue toutefois qu'entre John Williams et moi, ce n'était pas gagné. Après avoir abandonné Stoner, j’étais un brin réticente à lire Butcher’s Crossing. Mais le sujet m’intéressait et j’aime bien donner une seconde chance! Ma lecture de Butcher’s Crossing n’a pas été sans heurts. Si l’arrivée de Will à Butcher’s Crossing et le départ du groupe m’ont emballée, l’ennui s’est immiscé pendant l’expédition. Je me suis endormie, décidée à abandonner le roman. Mais au réveil, le lendemain, je me suis demandé en ouvrant les yeux où Will et sa gang en étaient rendus. Que Will et ses coéquipiers me manquent, c’était donc de bon augure. J’ai repris le roman le soir et ne l’ai plus lâché avant d’avoir tourné la dernière page. J’aurais fait une grave erreur de l’abandonner.Plus que les personnages - assez pittoresques, merci -, ce qui m’a le plus fascinée dans Butcher’s Crossing, c’est la force implacable de la nature et combien les personnages sont à sa merci. Les mots de John Williams ont un pouvoir d'évocation grandiose: j’ai senti la poussière me brûler les yeux, le froid m’engourdir, j’ai eu la gorge sèche, j'ai humé l’odeur de l’herbe et de la viande de bison en décomposition. Bref, j'y étais! La scène où les personnages se retrouvent pris dans un blizzard est époustouflante: pris au piège sous cinq pieds de neige pendant trois jours, sans nourriture, sans eau, blottis dans des peaux de bison,attendant que la nature finisse de se déchaîner... Si le rythme du roman est lent, il reproduit bien la langueur du temps qui s’égoutte et l’énergie requise pour traverser ces immenses distances. Un roman rude, violentsur un épisode crépusculaire et sanglant de l’Histoire. À la fois triste et vivifiant. Une expérience à vivre, enfoui bien au chaud sous la couette!Butcher’s Crossing, John Williams, Piranha, 304 pages, 2016.★★★★★