De nos frères blessés a reçu, en mai dernier, le Goncourt du premier roman.
Comme on n'en finit pas des prix qui fusent dans tous les sens, je poursuis donc sur ma lancée, et vous raconte ce que j'ai pensé de ce livre de Joseph Andras.
En 1956, à Alger, Fernand Iveton, jeune indépendantiste communiste, pose une bombe dans son usine, détectée avant d'exploser.
Un procès s'ensuit, au cours duquel il est clairement indiqué que la bombe n'avait pour but que de causer des dégâts matériels, et n'aurait pu attenter à la vie de quiconque.
Pourtant, dans un contexte politique agité, Iveton cristallise la colère de l'opinion publique, et, pour servir d'exemple, est condamné à mort.
Dans ce premier roman, Joseph Andras fait la lumière sur un triste épisode de l'Histoire, qui a conduit à l'exécution d'un homme davantage en raison de tensions politiques qu'en raison de sa faute, "le seul Européen guillotiné de la guerre d'Algérie".
L'angle adopté se centre sur la personnalité de Fernand Iveton, sur sa subjectivité, au lieu de privilégier une approche politique dans laquelle l'humain se serait dilué : le lecteur appréhende la vision des choses de Fernand, ses revendications, mais avant même cela, l'homme derrière l'accusé, sa relation avec ses proches et avec Hélène, très présente dans le récit.
Le récit est construit autour du procès qui se déroule en 1956, parsemé donc de souvenirs qui nous dépeignent peu à peu Fernand.
Au ressenti et à l'histoire personnels d'Yveton se superpose, au fur et à mesure de la lecture, la compréhension des enjeux qui le dépassent, et mettent en marche la machine judiciaire contre lui.
Car ce contexte est oppressant : la guerre d'Algérie s'esquisse peu à peu, elle couve, et à travers le châtiment imposé à Fernand Iveton, on devine que c'est le mouvement anti-colonialiste que l'on voudrait mâter. A cela s'ajoute la lâcheté (la seule alternative possible étant l'incompétence) du médecin mandaté, qui botte en touche et ne met pas le tribunal face à la réalité des actes de torture subis par Fernand lors de son arrestation.
L'épisode résonne, l'auteur affirme l'impact qu'il aurait eu sur l'abolition de la peine de mort lors de l'arrivée au pouvoir de Mitterrand dans les années 80, voyant là une volonté de rachat notamment par rapport à Iveton qui, s'il était coupable, ne l'était pas d'une faute punissable de la peine capitale.
Bien entendu, la démarche de Joseph Andras m'a fait penser à celle de Philippe Jaenada dans La petite femelle, tâchant de réhabiliter, des décennies plus tard, une femme écrasée par la vindicte populaire puis par l'Histoire qui l'avait fait sombrer dans l'oubli, et n'avait conservé d'elle que la vérité construite lors de son procès, celle d'une femme froide et manipulatrice.
Durant cette décennie des années 1950, extrêmement complexe, Fernand comme Pauline servent d'exemples, sont les victoires collatérales d'une société qui menace d'imploser, tentant de se relever de la guerre encore récente, et d'endiguer les menaces qui s'annoncent derrière les portes qu'elle a enfoncées.
Le récit émeut, un peu facilité en cela par la tendresse qui émane de la relation entre Fernand et Hélène, et l'écriture, quelle écriture! Non pas de celles qui se font oublier, elle a du caractère, on se plaît à lire et à entendre pour la première fois la voix de Joseph Andras, en attendant vivement la prochaine.
- La démarche de réhabilitation de personnages que l'Histoire a engloutis et brisés vous interpelle.
- Vous n'avez jamais entendu parler de Fernand Iveton, il y a des épisodes historiques qu'il est intéressant au plus haut point de se remémorer.
"Fernand a été torturé toute la journée ; il en a donné trois. De quelles matières sont donc faits les héros, se demande-t-il, attaché au banc, la tête en arrière? De quelles peaux, de quels os, carcasses, tendons, nerfs, étoffes, de quelles viandes, de quelles âmes sont-ils fichus, ceux-là? Pardonnez, les camarades..."
"Le président Roynard prend la parole : Fernand Iveton, ici présent, est condamné à la peine capitale. [...]
La Justice goûte son triomphe. Hélène se retient de ne pas fondre en larmes. Elle mord l'intérieur de ses joues pour ne pas leur offrir le spectacle de leur défaite. On ne jette pas ainsi la viande aux chiens."
"Hélène...
Un prénom comme une démangeaison. Plaie dans le palais qui n'entend pas se faire oublier."
"Tu es français, tu as mis une bombe, pour eux c'est impardonnable : tu meurs à cause de l'opinion publique... "