Une bouche sans personne

Par Henri-Charles Dahlem @hcdahlem

Une bouche sans personne
Gilles Marchand
Éditions Aux forges de Vulcain
Roman
282 p., 17 €
EAN : 9782373050134
Paru en août 2016

Où?
Le roman se déroule principalement à Paris, mais aussi à Bordeaux et du côté d’Oradour-sur-Glane.

Quand?
L’action se situe de nos jours, avec des réminiscences jusque dans les années vingt.

Ce qu’en dit l’éditeur
Un comptable se réfugie la journée dans ses chiffres et la nuit dans un bar où il retrouve depuis dix ans les mêmes amis. Le visage protégé par une écharpe, on ne sait rien de son passé. Pourtant, un soir, il est obligé de se dévoiler. Tous découvrent qu’il a été défiguré. Par qui, par quoi? Il commence à raconter son histoire à ses amis et à quelques habitués présents ce soir-là. Il recommence le soir suivant. Et le soir d’après. Et encore. Chaque fois, les clients du café sont plus nombreux et écoutent son histoire comme s’ils assistaient à un véritable spectacle. Et, lui qui s’accrochait à ses habitudes pour mieux s’oublier, voit ses certitudes se fissurer et son quotidien se dérégler. Il jette un nouveau regard sur sa vie professionnelle et la vie de son immeuble qui semblent tout droit sortis de l’esprit fantasque de ce grand-père qui l’avait jusque-là si bien protégé du traumatisme de son enfance.
Léger et aérien en apparence, ce roman déverrouille sans que l’on y prenne garde les portes de la mémoire. On y trouve les Beatles, la vie étroite d’un comptable enfermé dans son bureau, une jolie serveuse, un tunnel de sacs poubelle, des musiciens tziganes, une correspondance d’outre-tombe, un grand-père rêveur et des souvenirs que l’on chasse mais qui reviennent. Un livre sur l’amitié, sur l’histoire et ce que l’on décide d’en faire. Riche des échos de Vian, Gary ou Pérec, lorgnant vers le réalisme magique, le roman d’un homme qui se souvient et survit – et devient l’incarnation d’une nation qui survit aux traumatismes de l’Histoire.

Ce que j’en pense
****
Il y a des livres que l’on aime déjà pour les auteurs et les musiciens auxquels ils font référence, sortes de madeleines nous dont la vertu première est de nous replonger au moment où ces œuvres ont traversé nos existences. Dans la bibliothèque du narrateur de ce premier roman on trouve ainsi La conscience de Zeno d’Italo Svevo, L’Attrape-cœur de J.D. Salinger, L’Écume des jours de Boris Vian et Gros-Câlin de Romain Gary. Côté bande-son, on pourra (ré)écouter plusieurs albums des Beatles, à commencer par l’album blanc, Michel Polnareff ou encore Pierre Vassiliu.
Un peu de légèreté dans un monde de brutes. Même s’il convient de prendre garde à la douceur des choses. Car derrière les belles histoires se cachent souvent des drames. On va en avoir une nouvelle preuve en suivant le narrateur – qui n’a pas plus de nom que de visage – au comptoir du café où il retrouve depuis près de dix ans ses amis Sam et Thomas, sans oublier Lisa, la patronne de cet endroit magique qu tout le monde aime.
« Bon OK : tu es comptable, tu mesures autour d’un mètre quatre-vingts. Tu aimes les livres, les Beatles et la belote, et tu ne quittes jamais ton écharpe. C’est tout ce qu’on sait!»
Sauf qu’au fil des pages, on va finir par en apprendre davantage, car « on ne peut pas cacher indéfiniment ses cicatrices à sa famille. » Or celles du narrateur sont tout autant physiques que morales. La recette pour surmonter ses malheurs vient du grand-père qui l’a élevé et qui lui a appris à transformer la réalité. « C’est le seul moyen de pouvoir affronter ce qui se cache sous mon écharpe (…) Si je veux me retourner vers mon passé, il va falloir que je me protège de la réalité. S’il faut voir un éléphant qui se dégonfle à Paris, je finirai bien par le trouver. »
Une recette qui fonctionne si bien que le cercle des auditeurs ne cesse de croître et que bientôt des groupes entiers viennent écouter ses histoires extraordinaires. Des oisillons tombés du nid et qu’on essaie de nourrir avec des vers avant que leur cadavre aille à son tour nourrir les vers (La nature est à n’y rien comprendre) à la récolte des nouilles qui, comme le sait Monsieur Panzani, s’effectue dans des carrières, le surréalisme va prendre de plus en plus de place dans un récit où chacun finira par dévoiler ses secrets. Sam présentera les lettres qu’il reçoit de sa mère pourtant décédée depuis quelques temps et Thomas qui s’essaie au roman, va s’entretenir avec les enfants qu’il n’a pas eus…
Gilles Marchand sait joliment mêler le vrai et le faux, le drame et la légèreté, la fantaisie et la construction soignée. À l’image de son narrateur, il nous livre ainsi les clés de son travail et l’explication du titre qu’il a choisi : « La présence de tous ces anonymes me permet de me détacher de ce que je leur raconte. À travers eux, mon histoire devient une histoire. C’est peut-être ce dont j’avais besoin pour avancer. Je ne suis qu’une bouche, une expèce de lien avec un autre temps qui se dépossède de ce qu’il a sur le cœur. Mon histoire leur appartient et se mêle à leurs propres souvenirs. Chacun en fera ce qu’il voudra. » N’hésitez pas à rejoindre le cercle des amateurs de si belles histoires!

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Extrait
« De ma lèvre inférieure jusqu’au tréfonds de ma chemise, il y a cette empreinte de l’histoire, cette marque indélébile que je m’efforce de recouvrir de mon écharpe afin d’en épargner la vue à ceux qui croisent ma route. Quant au poème, il me hante comme une musique entêtante, ses mots rampent dans mon crâne d’où ils voudraient sortir pour dire leur douleur au monde. Poème et cicatrice font partie de moi au même titre que mes jambes, mes bras ou mes omoplates. Je ne me sens pas tenu de les examiner pour savoir qu’ils existent. J’ai seulement appris à essayer de les oublier.
Voilà pour mon armoire à souvenirs. J’ai pris soin de la cadenasser solidement et, la plupart du temps, cela marche. C’est la seule solution pour rester, à ma manière, assez heureux. Mais les cadenas sont fragiles et il est impossible d’oublier une cicatrice lorsque celle-ci fait office de masque que l’on ne peut retirer. »

A propos de l’auteur
Né en 1976 à Bordeaux, Gilles Marchand est rédacteur pour le Who’s Who et chroniqueur pour le site de polars, k-libre. Si Une bouche sans personne est son premier roman, il a signé en 2011 Dans l’attente d’une réponse favorable, 24 lettres de motivation chez Antidata, où il a aussi été éditeur. Il a également imaginé deux polars postaux pour Zinc Editions (Green Spirit et Les évadés du musée) et coécrit avec Eric Bonnargent, Le roman de Bolano, aux Editions du sonneur en 2015. (Source : Livres Hebdo)

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