Un peu de mal à trouver une citation qui pouvait coller parfaitement à notre roman du jour. Alors, j'ai un peu triché, en allant piocher cette citation, que l'on doit à l'un des personnages principaux du livre. C'est la première raison de mon choix. La seconde, c'est l'ironie mordante de Benchley qui est une des autres composantes fortes de ce livre. Et enfin, parce qu'elle aborde un de ses sujets centraux : la soif de célébrité. Je dois dire que je me suis lancé dans cette lecture par curiosité. En effet, "Le cercle des plumes assassines", de J.J. Murphy (désormais en poche chez Folio, traduction d'Hélène Collon), est un polar historique qui confie le rôle de détective à Dorothy Parker, personnage emblématique du New York des Années folles. Mais, je suis tombé dans une histoire complètement loufoque, pleine d'esprit et de saillies vachardes, avec des scènes dignes du cinéma burlesque et un suspect idéal dont je ne vous dévoilerai pas tout de suite l'identité. Bien qu'américain, J.J. Murphy insuffle à son histoire une vivacité et un humour très anglais, malgré une impression douloureuse qui persiste...
Au début des années 1920, un petit groupe de journalistes, chroniqueurs, figures de la vie culturelle et médiatique new-yorkaise a pris l'habitude de se réunir à l'Hôtel Algonquin, sur la 44e rue. Rapidement, ils se sont surnommés "la Table ronde de l'Algonquin", puisqu'ils avaient coutume de se réunir autour d'une vaste table ronde, mais très vite, cet aréopage est devenu "le Cercle vicieux".
Pas de quartier, à cette table ! On s'amuse, sans doute, mais on fait surtout fuser les bons mots, les piques, les mots d'esprits, visant le tout New York qui brille et qui pétille, mais aussi les membres de cette honorable assemblée eux-mêmes. On ne s'épargne pas et on s'embrouille, parfois, pour avoir osé lancer une vanne un peu plus appuyée que les autres.
Parmi les membres réguliers de ce cercle, on trouve Robert Benchley, qui assure la critique théâtrale à Vanity Fair, à cette époque, Alexander Woollcott, lui aussi critique, digne représentant de ces plumes assassines tant ses articles étaient craints à Broadway, Harold Ross, futur fondateur du magazine The New Yorker, Heywood Broun, commentateur sportif ou Franklin Pierce Adams, l' éditorialiste le plus populaire de l'époque.
Mais, la figure centrale de cette réunion de grands esprits (des wits, pour utiliser le mot anglais qui les qualifient le mieux), c'est Dorothy Parker, d'ailleurs surnommée The Wit, pour son esprit acéré et son sens de la repartie redoutable. Poète, auteure, journaliste à Vanity Fair, elle aussi, bientôt scénariste, c'est une femme de lettre qui a laissé son empreinte dans la vie culturelle et politique de son temps.
Lorsque débute "le cercle des plumes assassines", Dorothy Parker arrive dans la salle de la Table ronde, surprise d'être la première, c'est si rare. Enfin, première, pas tout à fait : de sous la table, dépassent les jambes d'un homme, qui ne réagit à aucune des adresses de la journaliste... Mais que se passe-t-il donc ?
Bientôt, la situation s'éclaire, et elle n'a rien de très agréable : ces jambes appartiennent à un homme qui a été assassiné à l'endroit même où le Cercle vicieux a coutume de se réunir... Un crime original, puisqu'on a planté dans le coeur de la victime son propre stylo plume... Pire, le mort n'est pas un inconnu : il s'agit d'un critique, encore un, celui du Knickerbocker News.
Un organe de presse qui monte, qui monte, mais qui est loin d'avoir la réputation des journaux pour lesquels travaillent la plupart des membres de la Table ronde. En clair : c'est un concurrent direct de ces membres qu'on a trucidé là, et cela fait naturellement d'une bonne partie de cette fameuse assemblée un suspect en puissance...
De quoi mettre en rogne ces honorables personnages, qui reçoivent de tels soupçons comme une insulte. Pourtant, c'est sur un autre homme que l'attention du policier chargé de l'affaire, le tenace O'Rannigan (bientôt sujet des railleries potaches du Cercle) va se porter. Un jeune homme, venu à la rencontre de Dorothy Parker et de ses amis, car il rêve de devenir écrivain...
Âgé d'une vingtaine d'années, il arrive du sud profond des Etats-Unis et ça se voit à son allure. En plus, c'est la seule tête qui ne semble pas à sa place dans ce décor particulier. O'Rannigan voit en lui un coupable en puissance, Mais Dorothy, touché par la naïveté du garçon, le prend sous son aile et le protège de la pression policière.
Ah oui, j'allais oublier ! Ce jeune homme, inconnu à l'époque, a un nom qui devrait vous parler un peu, à vous, lecteurs du XXIe siècle. Il s'appelle... William Faulkner. Curieuse rencontre, entre une star de l'époque qui plongera par la suite dans un oubli relatif, quand l'autre s'imposera au monde littéraire et obtiendra un Nobel...
En attendant, je dois dire que J.J. Murphy nous offre un portrait de Faulkner aux antipodes de l'image qu'on peut en avoir maintenant à travers son oeuvre : il m'a fait penser, à quelques décennies d'écart, au personnage incarné par John Voight dans "Macadam Cowboy", naïf, décalé, perdu, cherchant à comprendre ce nouvel univers dans lequel il entend évoluer...
Rebaptisé Teckel par Dorothy, Faulkner va devenir le personnage principal d'une espèce de vaudeville où l'on ne croise pas le mari, la femme et l'amant, mais le suspect, sa protectrice et le policier. Dorothy n'a même pas 5 ans de plus que Faulkner (elle est né en 1893, lui en 1897), elle se montre presque maternelle à son égard et, au-delà du côté comique, elle est très touchante.
Il faut dire que ce personnage de Dorothy Parker est assez particulier. Si l'on s'en tient à la première impression, c'est une sale gamine, à la langue de vipère, balançant vanne sur vanne, tirant le diable par la queue sans arrêt, pointant à Vanity Fair sans jamais réellement travailler, jouant de son charme pour rétablir les situations les plus précaires, grande gueule et bel esprit.
Mais, dans ce roman, on la découvre aussi sous un angle différent, celui que cache la carapace d'humour et de sarcasme : une jeune femme sentimentale, malheureuse, mariée sans vraiment l'être, amoureuse qui n'ose se déclarer, par respect pour Benchley, s'étourdissant dans la fête, l'alcool, l'amitié et les joutes oratoires pour fuir une forme de désespoir que combat sans fin le Cercle Vicieux.
"New York est une fête", aurait-on pu titrer, façon Hemingway, pour évoquer la Table Ronde de l'Algonquin, mais derrière, on sent à plusieurs reprises ce côté pessimiste, inquiet, qui est à la fois hérité de la guerre récemment achevée, à laquelle plusieurs de ses membres ont participé, de différentes façons, mais qui vient aussi des questions que pose un avenir incertain...
Parker et Benchley vont d'ailleurs trouver dans la Prohibition récemment instaurée, un parfait cadre à leur volonté de provocation ; ils fréquentent les speakeasies, ces salons de thé où l'on a vite fait de verser dans les tasses quelque alcool de contrebande pour pimenter les soirées... De cette période, ils sortiront d'ailleurs avec un solide problème avec l'alcool qui ne les quittera pas...
Mais laissons ce côté plus sombre, qui n'est finalement qu'un arrière-plan de ce roman. On a donc un meurtre, un coupable idéal, un policier déterminé et des journalistes potaches qui ne veulent pas voir un innocent condamné et se lancent sur la piste du coupable. Un format de polar ultra-classique qui va prendre un relief particulier par le style que va lui imprimer J.J. Murphy.
On se retrouve dans un roman qui a tout, par instants, d'un film burlesque. A tour de rôle, on pense à Chaplin, Buster Keaton, Harold Lloyd ou encore aux Marx Borthers (sans doute pas un hasard : Harpo Marx, s'il n'était pas membre en titre de la Table ronde de l'Algonquin, en était tout de même un habitué), à travers des scènes très amusantes.
On croise aussi bien Douglas Fairbanks (transformé en liftier dans une de ces scènes burlesques hilarantes que je viens d'évoquer) que le boxeur Jack Dempsey, d'autres figures des années folles à New York, qui se retrouvent dans des soirées "people" étourdissantes. Big Apple est, à sa façon, un des personnages du roman, par son côté vivant et anticonformiste.
L'humour est omniprésent dans ce roman, par bien des situations qui donnent lieu à des gags ou des quiproquos, mais aussi à travers les répliques des uns et des autres, en particulier les deux "snipers" que sont Dorothy et Benchley, qui n'arrêtent jamais de faire assaut de bons mots, comme si c'était un réflexe pavlovien.
Je sais que cet aspect n'a pas forcément plu à tous les lecteurs, que la répétition des gags et des bonnes phrases a pu lasser certain, ce n'est pas mon cas, je me suis beaucoup amusé d'un bout à l'autre, savourant les diverses références et clins d'oeil qui sont semées par l'auteur au long des 420 pages de ce livre (dans sa version poche).
Terminons par une des questions qui se pose dans le roman, celle de la course à la célébrité. A leur façon, plus que leurs fonctions respectives, les membres du Cercle vicieux ont pour points communs d'être connus. J'ai employé le mot "people" plus haut, qui est anachronique mais qui a le mérite d'être clair, dans notre contexte.
Dorothy, Benchley et les autres, dont les écrits journalistiques reposent clairement sur leurs fortes personnalités et leur sens de la provocation, m'ont fait penser au Max Rochefort du livre de Dominique Maisons, "On se souvient du nom des assassins", qui a délégué l'écriture de ses livres à d'autres pour exercer la profession de célébrité à temps plein.
Mais, au-delà de cette dimension particulière, J.J. Murphy nous emmène à l'apogée de la presse écrite. C'est alors le seul média de masse : la radio émerge doucement mais ne deviendra une concurrence véritable qu'à la fin des années 20 et le cinéma est d'abord un divertissement. Alors, les journaux sont très puissants et très réactifs.
Grâce aux progrès techniques, les rotatives tournent quasiment non-stop, de nouvelles éditions sortent au fil de la journée pour coller au plus près de l'actualité, la concurrence entre les titres s'exacerbe et apparaît la chasse au scoop. Dans "Le cercle des plumes assassines", on n'est pas loin, par moments, de voir les mêmes dérives que celles qui sont reprochées de nos jours aux chaînes d'info continue.
Malgré toutes ces spécificités très américaines, j'ai retrouvé dans ce polar, un peu particulier, tout de même, quelques techniques directement issues des classiques du polar à l'anglaise. Rien d'étonnant, donc, à retrouver "Murder your darlings", pour reprendre le titre original, en lice pour les prix Agatha, remis aux romans qui s'inscrivent dans la lignée d'Agatha Christie.
Dorothy Parker est à peu près l'exact contraire d'une Miss Marple, par son âge, l'endroit où elle vit, les conditions même de son existence et pourtant, on voit un cousinage entre elle, dans leur malice, leur curiosité insatiable, leurs prises de risques et leur tempérament bien trempé. Et ce style de polar, même s'il peut sembler un peu désuet, reste très agréable à lire.
"Le cercle des plumes assassines", paru en grand format aux éditions Baker Street avant d'arriver en poche chez Folio Policier, est en fait la troisième enquête de Dorothy Parker signée J.J. Murphy. La première, "L'affaire de la belle évaporée", vient d'être publiée en grand format et retrouver les membres du Cercle vicieux ne serait pas pour me déplaire...
Ne quittons pas l'Algonquin aussi vite, terminons avec une photo d'une partie des membres de la Table Ronde : de gauche à droite, Art Samuels, Charlie MacArthur, Harpo Marx et Alexander Woollcott, réunis autour de Dorothy Parker...
Au début des années 1920, un petit groupe de journalistes, chroniqueurs, figures de la vie culturelle et médiatique new-yorkaise a pris l'habitude de se réunir à l'Hôtel Algonquin, sur la 44e rue. Rapidement, ils se sont surnommés "la Table ronde de l'Algonquin", puisqu'ils avaient coutume de se réunir autour d'une vaste table ronde, mais très vite, cet aréopage est devenu "le Cercle vicieux".
Pas de quartier, à cette table ! On s'amuse, sans doute, mais on fait surtout fuser les bons mots, les piques, les mots d'esprits, visant le tout New York qui brille et qui pétille, mais aussi les membres de cette honorable assemblée eux-mêmes. On ne s'épargne pas et on s'embrouille, parfois, pour avoir osé lancer une vanne un peu plus appuyée que les autres.
Parmi les membres réguliers de ce cercle, on trouve Robert Benchley, qui assure la critique théâtrale à Vanity Fair, à cette époque, Alexander Woollcott, lui aussi critique, digne représentant de ces plumes assassines tant ses articles étaient craints à Broadway, Harold Ross, futur fondateur du magazine The New Yorker, Heywood Broun, commentateur sportif ou Franklin Pierce Adams, l' éditorialiste le plus populaire de l'époque.
Mais, la figure centrale de cette réunion de grands esprits (des wits, pour utiliser le mot anglais qui les qualifient le mieux), c'est Dorothy Parker, d'ailleurs surnommée The Wit, pour son esprit acéré et son sens de la repartie redoutable. Poète, auteure, journaliste à Vanity Fair, elle aussi, bientôt scénariste, c'est une femme de lettre qui a laissé son empreinte dans la vie culturelle et politique de son temps.
Lorsque débute "le cercle des plumes assassines", Dorothy Parker arrive dans la salle de la Table ronde, surprise d'être la première, c'est si rare. Enfin, première, pas tout à fait : de sous la table, dépassent les jambes d'un homme, qui ne réagit à aucune des adresses de la journaliste... Mais que se passe-t-il donc ?
Bientôt, la situation s'éclaire, et elle n'a rien de très agréable : ces jambes appartiennent à un homme qui a été assassiné à l'endroit même où le Cercle vicieux a coutume de se réunir... Un crime original, puisqu'on a planté dans le coeur de la victime son propre stylo plume... Pire, le mort n'est pas un inconnu : il s'agit d'un critique, encore un, celui du Knickerbocker News.
Un organe de presse qui monte, qui monte, mais qui est loin d'avoir la réputation des journaux pour lesquels travaillent la plupart des membres de la Table ronde. En clair : c'est un concurrent direct de ces membres qu'on a trucidé là, et cela fait naturellement d'une bonne partie de cette fameuse assemblée un suspect en puissance...
De quoi mettre en rogne ces honorables personnages, qui reçoivent de tels soupçons comme une insulte. Pourtant, c'est sur un autre homme que l'attention du policier chargé de l'affaire, le tenace O'Rannigan (bientôt sujet des railleries potaches du Cercle) va se porter. Un jeune homme, venu à la rencontre de Dorothy Parker et de ses amis, car il rêve de devenir écrivain...
Âgé d'une vingtaine d'années, il arrive du sud profond des Etats-Unis et ça se voit à son allure. En plus, c'est la seule tête qui ne semble pas à sa place dans ce décor particulier. O'Rannigan voit en lui un coupable en puissance, Mais Dorothy, touché par la naïveté du garçon, le prend sous son aile et le protège de la pression policière.
Ah oui, j'allais oublier ! Ce jeune homme, inconnu à l'époque, a un nom qui devrait vous parler un peu, à vous, lecteurs du XXIe siècle. Il s'appelle... William Faulkner. Curieuse rencontre, entre une star de l'époque qui plongera par la suite dans un oubli relatif, quand l'autre s'imposera au monde littéraire et obtiendra un Nobel...
En attendant, je dois dire que J.J. Murphy nous offre un portrait de Faulkner aux antipodes de l'image qu'on peut en avoir maintenant à travers son oeuvre : il m'a fait penser, à quelques décennies d'écart, au personnage incarné par John Voight dans "Macadam Cowboy", naïf, décalé, perdu, cherchant à comprendre ce nouvel univers dans lequel il entend évoluer...
Rebaptisé Teckel par Dorothy, Faulkner va devenir le personnage principal d'une espèce de vaudeville où l'on ne croise pas le mari, la femme et l'amant, mais le suspect, sa protectrice et le policier. Dorothy n'a même pas 5 ans de plus que Faulkner (elle est né en 1893, lui en 1897), elle se montre presque maternelle à son égard et, au-delà du côté comique, elle est très touchante.
Il faut dire que ce personnage de Dorothy Parker est assez particulier. Si l'on s'en tient à la première impression, c'est une sale gamine, à la langue de vipère, balançant vanne sur vanne, tirant le diable par la queue sans arrêt, pointant à Vanity Fair sans jamais réellement travailler, jouant de son charme pour rétablir les situations les plus précaires, grande gueule et bel esprit.
Mais, dans ce roman, on la découvre aussi sous un angle différent, celui que cache la carapace d'humour et de sarcasme : une jeune femme sentimentale, malheureuse, mariée sans vraiment l'être, amoureuse qui n'ose se déclarer, par respect pour Benchley, s'étourdissant dans la fête, l'alcool, l'amitié et les joutes oratoires pour fuir une forme de désespoir que combat sans fin le Cercle Vicieux.
"New York est une fête", aurait-on pu titrer, façon Hemingway, pour évoquer la Table Ronde de l'Algonquin, mais derrière, on sent à plusieurs reprises ce côté pessimiste, inquiet, qui est à la fois hérité de la guerre récemment achevée, à laquelle plusieurs de ses membres ont participé, de différentes façons, mais qui vient aussi des questions que pose un avenir incertain...
Parker et Benchley vont d'ailleurs trouver dans la Prohibition récemment instaurée, un parfait cadre à leur volonté de provocation ; ils fréquentent les speakeasies, ces salons de thé où l'on a vite fait de verser dans les tasses quelque alcool de contrebande pour pimenter les soirées... De cette période, ils sortiront d'ailleurs avec un solide problème avec l'alcool qui ne les quittera pas...
Mais laissons ce côté plus sombre, qui n'est finalement qu'un arrière-plan de ce roman. On a donc un meurtre, un coupable idéal, un policier déterminé et des journalistes potaches qui ne veulent pas voir un innocent condamné et se lancent sur la piste du coupable. Un format de polar ultra-classique qui va prendre un relief particulier par le style que va lui imprimer J.J. Murphy.
On se retrouve dans un roman qui a tout, par instants, d'un film burlesque. A tour de rôle, on pense à Chaplin, Buster Keaton, Harold Lloyd ou encore aux Marx Borthers (sans doute pas un hasard : Harpo Marx, s'il n'était pas membre en titre de la Table ronde de l'Algonquin, en était tout de même un habitué), à travers des scènes très amusantes.
On croise aussi bien Douglas Fairbanks (transformé en liftier dans une de ces scènes burlesques hilarantes que je viens d'évoquer) que le boxeur Jack Dempsey, d'autres figures des années folles à New York, qui se retrouvent dans des soirées "people" étourdissantes. Big Apple est, à sa façon, un des personnages du roman, par son côté vivant et anticonformiste.
L'humour est omniprésent dans ce roman, par bien des situations qui donnent lieu à des gags ou des quiproquos, mais aussi à travers les répliques des uns et des autres, en particulier les deux "snipers" que sont Dorothy et Benchley, qui n'arrêtent jamais de faire assaut de bons mots, comme si c'était un réflexe pavlovien.
Je sais que cet aspect n'a pas forcément plu à tous les lecteurs, que la répétition des gags et des bonnes phrases a pu lasser certain, ce n'est pas mon cas, je me suis beaucoup amusé d'un bout à l'autre, savourant les diverses références et clins d'oeil qui sont semées par l'auteur au long des 420 pages de ce livre (dans sa version poche).
Terminons par une des questions qui se pose dans le roman, celle de la course à la célébrité. A leur façon, plus que leurs fonctions respectives, les membres du Cercle vicieux ont pour points communs d'être connus. J'ai employé le mot "people" plus haut, qui est anachronique mais qui a le mérite d'être clair, dans notre contexte.
Dorothy, Benchley et les autres, dont les écrits journalistiques reposent clairement sur leurs fortes personnalités et leur sens de la provocation, m'ont fait penser au Max Rochefort du livre de Dominique Maisons, "On se souvient du nom des assassins", qui a délégué l'écriture de ses livres à d'autres pour exercer la profession de célébrité à temps plein.
Mais, au-delà de cette dimension particulière, J.J. Murphy nous emmène à l'apogée de la presse écrite. C'est alors le seul média de masse : la radio émerge doucement mais ne deviendra une concurrence véritable qu'à la fin des années 20 et le cinéma est d'abord un divertissement. Alors, les journaux sont très puissants et très réactifs.
Grâce aux progrès techniques, les rotatives tournent quasiment non-stop, de nouvelles éditions sortent au fil de la journée pour coller au plus près de l'actualité, la concurrence entre les titres s'exacerbe et apparaît la chasse au scoop. Dans "Le cercle des plumes assassines", on n'est pas loin, par moments, de voir les mêmes dérives que celles qui sont reprochées de nos jours aux chaînes d'info continue.
Malgré toutes ces spécificités très américaines, j'ai retrouvé dans ce polar, un peu particulier, tout de même, quelques techniques directement issues des classiques du polar à l'anglaise. Rien d'étonnant, donc, à retrouver "Murder your darlings", pour reprendre le titre original, en lice pour les prix Agatha, remis aux romans qui s'inscrivent dans la lignée d'Agatha Christie.
Dorothy Parker est à peu près l'exact contraire d'une Miss Marple, par son âge, l'endroit où elle vit, les conditions même de son existence et pourtant, on voit un cousinage entre elle, dans leur malice, leur curiosité insatiable, leurs prises de risques et leur tempérament bien trempé. Et ce style de polar, même s'il peut sembler un peu désuet, reste très agréable à lire.
"Le cercle des plumes assassines", paru en grand format aux éditions Baker Street avant d'arriver en poche chez Folio Policier, est en fait la troisième enquête de Dorothy Parker signée J.J. Murphy. La première, "L'affaire de la belle évaporée", vient d'être publiée en grand format et retrouver les membres du Cercle vicieux ne serait pas pour me déplaire...
Ne quittons pas l'Algonquin aussi vite, terminons avec une photo d'une partie des membres de la Table Ronde : de gauche à droite, Art Samuels, Charlie MacArthur, Harpo Marx et Alexander Woollcott, réunis autour de Dorothy Parker...