François Mauriac : Le Sagouin

Par Lebouquineur @LBouquineur

François Mauriac (1885-1970), lauréat du Grand Prix du roman de l'Académie française (1926), membre de l'Académie française (1933) et lauréat du prix Nobel de littérature (1952) a été décoré de la Grand-croix de la Légion d'honneur en 1958. Son roman, Le Sagouin, date de 1951.

Dans le Bordelais. Paule Meulière a voulu se sortir de son milieu petit bourgeois en épousant le baron Galéas de Cernès. Las, du fiasco de cette union est né Guillaume, dit Guillou, un gamin pas trop aidé par la nature, physiquement et intellectuellement, dans lequel sa mère ne voit que « des genoux cagneux, des cuisses étiques » et surtout « cette lèvre inférieure un peu pendante, beaucoup moins que ne l’était celle de son père, - mais il suffisait à Paule qu’elle lui rappelât une bouche détestée. »

Je lis souvent à propos de romans récents, polars américains ou autres, qu’ils sont très noirs et blablabla, mais ce n’est qu’une grosse rigolade à côté de ceux de Mauriac, comme celui-ci qui en moins de 150 pages dresse un portrait épouvantable de l’âme humaine, en mettant un malheureux enfant au centre du débat.

Un baron de père dégénéré et faible qui s’occupe du cimetière du village, une mère qui déteste son fils car il lui renvoie l’image de sa vie ratée, une belle-mère, la vraie baronne, qui dirige la baraque avec fermeté et mépris pour Paule. Des ragots qui circulent à tort sur une éventuelle liaison passée entre Paule et un prêtre qui a dû être muté ailleurs ; Paule qui biberonne un peu en cachette. Fräulein, la gouvernante, elle a élevé le baron et reste très attachée au père et au fils, contre Paule. Ajoutons une dernière paire de personnages, les époux Bordas, instituteurs, après un essai il refusera de donner des cours particuliers à Guillou, ce qui hâtera le dénouement tragique de ce roman d’une épouvantable noirceur.

Le bouquin est très court, chaque mot compte et il n’y a pas un pouce de gras comme vous l’imaginez mais pourtant François Mauriac réussit à en faire une œuvre d’une intensité incroyable. Tout est parfait, l’atmosphère des petites villes provinciales d’alors, les clans sociaux, notables, clergé, instituteur forcément communiste « La lutte des classes, ce n’est pas une histoire pour les manuels. (…) Elle doit inspirer toute notre conduite » et ennemi naturel des hobereaux. Les détestations familiales, le qu’en dira-t-on, etc. Et au milieu, notre pauvre sagouin, attardé certainement mais inoffensif et différent, trouvant refuge dans les rares livres mis à sa disposition, comme ces Jules Verne dont il peut citer des passages par cœur.

Une fois encore je retrouve chez l’écrivain son esprit torturé, ses obsessions et les ambiances troubles qu’on ne fait que deviner, mais toujours latentes, liées à la sexualité étouffée de l’auteur, « il y a ceux qui peuvent toujours et ceux qui ne peuvent pas toujours… (…) Et ceux qui ne peuvent pas toujours (…) ceux-là se donnent à Dieu, ou à la science, ou à la littérature… ou à l’homosexualité. »

Un excellent roman pour les lecteurs et de ceux qui devraient servir de modèle pour les écrivains : court, d’une puissance inouïe et d’une noirceur atroce.