Premier roman de Leïla Slimani, l'histoire est celle d'Adèle, 35 ans, un petit garçon de 2 ans, un mari médecin, un job de journaliste. Elle a tout. Le confort, l'amour, les amis, l'argent, la maternité. Elle a l'air sage, Adèle.
Mais sous la surface, se cache l'addiction. Le désir jamais assouvi, les pulsions qui dorment en elle et soudain prennent le dessus. Vite, il lui faut un homme, n'importe lequel, n'importe où, adossée à une poubelle, dans une station de métro, un inconnu, un voisin, un ami de son mari, même.
Une semaine qu’elle tient. Une semaine qu’elle n’a pas cédé. Adèle a été sage. (...)
Mais cette nuit, elle en a rêvé et n’a pas pu se rendormir. Un rêve moite, interminable, qui s’est introduit en elle comme un souffle d’air chaud. (...)
Sous la douche, elle a envie de se griffer, de se déchirer le corps en deux. Elle cogne son front contre le mur.Elle veut qu’on la saisisse, qu’on lui brise le crâne contre la vitre. (...) Elle voudrait n’être qu’un objet au milieu d’une horde, être dévorée, sucée, avalée tout entière. Qu’on lui pince les seins, qu’on lui morde le ventre.
Elle veut être une poupée dans le jardin d’un ogre.
Adèle flotte en surface : l'amour qu'elle port à son fils trouve ses limites quand il lui en "demande trop", son mari est un compagnon qui lui offre à la fois la façade de la respectabilité et une île de paix à rejoindre, entre deux excès de chair, entre deux angoisses de vide. Adèle s'offre au premier venu, quand le désir la rend folle et prend possession de son âme. Mais elle n'est jamais rassasiée, tout est toujours trop doux, trop routinier. Elle rêve de violence, de viol, de meurtrissures, de bleus à l'âme et au corps. Chaque amant souffle un peu sur sa flamme, sans jamais l'éteindre tout à fait.
Adèle joue avec le feu, néglige son enfant, ment à son mari, délaisse son boulot, pour s'enfoncer toujours plus loin et plus fort dans les situations glauques et extrêmes, frôlant le danger, comme celle, hallucinante, où elle demande à deux hommes de la frapper, jusqu'à le déchirer, pour enfin ressentir quelque chose d'assez fort pour elle ...
Cette addiction la bouffe, au point de la rendre froide, un monstre d'égoïsme, comme lorsqu'elle apprend l'accident de la route de son mari, et songe au champ libre que ça aurait pu lui laisser, s'il ne s'en était pas sorti :
À une veuve, on pardonne beaucoup de choses. Le chagrin est une excuse extraordinaire. Elle pourrait, tout le reste de sa vie, multiplier les erreurs et les conquêtes, et l’on dirait d’elle : « La mort de son mari l’a brisée. Elle n’arrive pas à s’en remettre. »
Premier roman donc, pour Leïla Slimani, récemment primée d'un Goncourt pour "Chanson douce" sur un sujet rarement abordé : l'addiction sexuelle au féminin. J'ai dévoré ce ce livre en deux petits jours, subjuguée par la descente aux enfers d'Adèle, par son angoisse et son malheur, et aussi par cette très belle écriture.
C'est cru sans réellement choquer, les mots claquent, les situations sordides s'enchaînent et nous dévoilent un beau portrait de femme dévastée, qui se noie lentement dans sa propre maladie. Car c'est bien d'une maladie que souffre Adèle, jamais rassasiée, jamais en paix, avec elle-même ni avec les autres ...
Arrivée à la fin, j'ai repensé à la rencontre d'il y a quelques jours ... J'aurais eu quelques questions supplémentaires, si je pouvais la revoir ...
"Dans le jardin de l'ogre", Leïla Slimani, Folio, 2015