Lawrence Osborne, né en 1958 en Angleterre, est avant tout un voyageur qui a vécu à Paris, au Maroc, en Italie, à New York, Mexico, Istanbul puis Bangkok où il réside actuellement. Auteur de romans et d’essais, il est également journaliste et il écrit régulièrement pour différents journaux tels que le New York Times, le Financial Times, le Wall Street Journal ou Newsweek. Son dernier ouvrage, Boire et déboires en terre d’abstinence, est sorti il y a quelques mois.
Le bouquin, qui s’inscrit dans la tradition des livres de voyages, est basé sur une idée saugrenue de prime abord mais finalement extrêmement gonflée, s’aventurer en terre d’Islam en tant que buveur revendiqué – pour ne pas dire alcoolique – et trouver sa dose quotidienne de boisson et son indispensable cocktail de 18h10 ! Qui d’autre qu’un Anglais, avec ce que cela induit de flegme, de distanciation et d’humour froid, pouvait se lancer dans une telle aventure ?
Quand je parle de dose quotidienne d’alcool, il faut le prendre au premier degré à l’identique d’une dose de dope pour le drogué, car Lawrence Osborne picole sévère depuis son plus jeune âge, digne héritier de ses parents comme il le confie, « j’ai toujours eu conscience du fait que ma mère buvait plus que mon père », « mes parents parcouraient notre domicile en titubant »…
Le périple va nous mener de pays en pays, de villes en villes, Beyrouth au Liban pour goûter à l’arak, Mascate dans le sultanat d’Oman pour une quête effrénée de champagne pour fêter dignement le Nouvel An, Islamabad au Pakistan, Le Caire en Egypte, Istanbul en Turquie, mais aussi Londres… Les alcools locaux ou non défilent, whiskies, vodkas, vins, cocktails, bières, tout est bon pour ce gosier toujours à sec. Nous y croiserons aussi le chef politique Walid Joumblatt et le compositeur Krzysztof Penderecki. Ce voyage et ces liqueurs finiraient pas lasser si l’auteur en restait là, mais Osborne est un peu de la même trempe que son compatriote Patrick Leigh Fermor, son récit est cultivé – sans jamais être pesant – que ce soit la grande ou la petite histoire, on en apprend beaucoup sur les régions visitées et son bouquin se double d’une analyse lucide sur l’alcoolisme, sur la place et le rôle de ces boissons en terre d’Islam dont la position religieuse varie selon les époques et les variantes de croyance. Ajoutons aussi une étude sur la typologie des bars et leur historique en Angleterre et ailleurs, et nous voici en possession d’un bouquin assez complet sur la question.
Un livre très agréable à lire, les deux derniers chapitres m’ont particulièrement semblés très beaux, mais qui me suggère néanmoins deux réflexions minimes : j’ai été étonné de ne jamais ressentir le danger qu’il y avait à chercher sans cesse de l’alcool dans des coins où la charia aurait pu le frapper, peut-être la pudeur du style anglais ? Enfin, quand je lis en quatrième de couverture que ce livre « a été classé par le New York Times parmi les 10 meilleurs livres de l’année 2013 », je trouve cela soit exagéré, soit franchement inquiétant pour la littérature en général… à moins que le jury n’aie trop forcé sur le malt ?
« Mais, incontestablement, les rakis haut de gamme possèdent des parfums qui s’attardent dans les poumons. Ils vous donnent envie de rester assis et de sombrer dans une dépression langoureuse et quelque peu inutile, envie de vous rembrunir soudain, comme le liquide se trouble. C’est la boisson idéale pour l’introspection et l’observation. « Quel trésor que cette boisson, dit un jour Atatürk, avec une pointe de regret, elle vous donne envie de devenir poète. » Il en resta au stade de l’envie. »
Lawrence Osborne Boire et déboires en terre d’abstinence Hoëbeke – 240 pages –
Traduit de l’anglais par Béatrice Vierne