Mille femmes blanches, Jim Fergus

Par Sara

Voici un roman qu'il me fallait lire depuis un bon bout de temps, le premier roman de Jim Fergus, rien que ça! Fait insolite et rigolo : le bouquin s'est beaucoup mieux vendu en France, où il a reçu un accueil très favorable, qu'aux Etats-Unis, où il n'est pas passé inaperçu, mais presque.

C'est drôle, quand on pense que le seul personnage français du livre est un détestable pervers, traître sale et puant sans foi ni loi.

A croire que les Français ont été sensibles à ce portrait flatteur.

C'est un peu comme si les gens sans pouvoirs magiques plébiscitaient un livre à la gloire du monde des sorciers, où ils apparaîtraient comme des boulets lourdauds et incapables de se défendre tout seuls.

En fait, c'est assez commun.


May est une jeune fille de bonne famille, qui a quitté les siens brusquement pour vivre avec Harry, un homme dont elle est passionnément amoureuse mais qui est d'une condition sociale inférieure. Ils ont ensemble deux enfants, mais May est bientôt enlevée et internée dans un hôpital psychiatrique. Pour recouvrer sa liberté, elle accepte de prendre part au projet FBI, enjoignant des femmes à épouser des Cheyennes et à leur donner des enfants, afin d'œuvrer au rapprochement des deux peuples.


La traduction de Mille femmes blanches est parue en France en avril 2000 ( merci-bisou wiki).

Comment diantre ai-je pu vivre, près de 17 années durant, dans la crasse ignorance de l'existence de cette pièce de maître (vous noterez l'élégante traduction littérale de masterpiece) ? Voilà un mystère que je vous défie bien de résoudre, et qui n'a pas à rougir face à ceux auxquels se frotte Benedict Cumberbatch (hiiiiii le retour de Sherlock en 2017, hurray!!!!).

Le topo de départ, il faut le dire, est grandiose : un fait historique improbable dont on peine à croire de la véracité. La demande des Cheyennes, en premier lieu, n'est pas piquée des vers, et l'on reconnaît sans peine l'attitude un peu sournoise du gouvernement américain qui s'offusque avec les puritains, et envoie en douce les dames volontaires, sans pour autant se sentir autrement impliqué dans cet échange (car il s'agit bien d'un échange, le gouvernement ayant reçu des chevaux en échange des femmes, oui tout à fait, des chevaux.).

A ce contexte accrocheur s'ajoute la personnalité de May, qui est haute en couleurs, et ne manque pas de piquant. Les péripéties qui sont celles de ces dames sont reportées dans une prose très vive et directe, qui rend le roman très abordable pour un large lectorat.
En outre, et cela ne dessert pas l'ensemble, on assiste non sans quelque émotion à l'évolution des perceptions des femmes, des Cheyennes, mais aussi des soldats qui les ont escortées lors de leur arrivée, et les traitent ensuite sans le moindre égard. Il y a de la nuance dans ce roman palpitant, même si, vous l'aurez deviné, la politique menée à l'endroit de la communauté Cheyenne en prend pour son grade, car les faits dont elle est victime conduisent naturellement le lecteur à remettre en cause la légitimité de ces actions.

L'intrigue est captivante, exotique sans verser dans un sensationnel dégradant, on s'intéresse et on tremble pour May et ses compagnes, c'est excellent. Ne reste qu'à découvrir le tome suivant, dont la traduction a été publiée en France en début d'année : La vengeance des mères.
Tout un programme!

    Vous vous laissez facilement emporter par l'engouement collectif, qui s'exprime dernièrement par le pourrissage intempestif des Américains, ces glandos qui ont réussi à élire un clown à la présidence. Attendez mai prochain avant de faire vos malins, et en attendant, plongez-vous avec plaisir dans le livre de Jim Fergus, qui vous confortera pour sa part dans l'idée qu'on n'est pas les plus gros nazes qui soient en matière de politique intérieure.


"Dans le pays entier des femmes répondirent à l'offre de mariage indienne en écrivant ou en télégraphiant à la Maison-Blanche pour proposer leurs services de bonnes et fidèles épouses. Loin d'être toutes cinglées, elles semblaient au contraire former un vaste et disparate échantillon socio-économique, racial même, puisque parmi elles se trouvaient de jeunes célibataires souhaitant pimenter leurs ternes existences d'un parfum d'aventure, des esclaves récemment émancipées espérant échapper aux corvées ingrates qui les attendaient dans les filatures de coton et les usines inhumaines de l'industrie naissante, ou encore de jeunes veuves qui avaient perdu leur mari pendant la guerre de Sécession. Nous savons aujourd'hui que l'administration de Grant ne fit pas la sourde oreille.
[...]
Ainsi naquit le programme secret "Femmes Blanches pour les Indiens" - ou FBI comme on l'appela dans le cercle présidentiel."

"Il est tout de même franchement ironique de remarquer que, pour échapper à l'asile, je me retrouve embarquée dans l'entreprise la plus folle de ma vie."

"Franchement, vu la façon dont j'ai été traitée par les gens dits "civilisés", il me tarde finalement d'aller vivre chez les sauvages. J'espère qu'eux, au moins, sauront nous apprécier."