En 1867, en Finlande, il n’y a plus rien à manger. Rien. Et les gens ont faim. Marja et ses deux jeunes enfants, Mataleena et Juho, n’ont d’autres choix que de quitter leur ferme et de prendre la route, poussés par l’espoir d’atteindre Saint-Pétersbourg. Marja abandonne son mari mourant derrière elle. Il serait un poids mort à porter et des forces, il lui en faudra pour faire le voyage jusqu’en Russie.Marja ne peut imaginer que quiconque soit livré à la faim dans la ville du tsar. À Saint-Pétersbourg, il y a du pain pour tous sans qu’on ait besoin d’y mélanger de l’écorce, du lichen et encore moins du foin. Mais Saint-Pétersbourg est loin. Ce n’est pas derrière la prochaine colline, ni après le village suivant. Mais loin, en Russie.
Des
hordes de mendiants affamés se traînent sur les chemins, à la recherche d'un bout de pain. D'autres se meurent du typhus. De village en village, entre une auberge et une grange, Marja et ses enfants éprouvent la bonté des uns, l’aigreur et la cruauté des autres. La brève amitié qui lie Marja à Ruuni, un jeune orphelin, lui apporte enfin un peu de réconfort et d’espoir.Plus les jours passent, plus le point d'arrivée semble incertain. Comme s'approcher d'un but qui ne cesse de s'éloigner à mesure qu'on avance. Dans la neige, les traces laissées par les pas sont de moins en moins nombreuses… Et cette maudite faim qui tord le ventre.Pendant que Marja et ses enfants sillonnent les routes enneigées, de plus en plus affaiblis, les notables d’Helsinki (médecin, fonctionnaire, sénateur), eux, sont assis bien au chaud, à parloter sur l’état des finances en buvant du punsch et en jouant aux échecs... Il y a, dans La faim blanche, des airs de La route de Cormac McCarthy et de Vongozero de Yana Vagner. À la différence que le roman d'Aki Ollikainen n’est pas un roman post-apocalyptique. Ce qu'il y a, à la base de ce roman, a bel et bien eu lieu. Entre 1866 et 1868, la Finlande a été touchée par une grande famine causée par deux années consécutives de mauvaises récoltes et un hiver particulièrement rigoureux. Les paysans, qui constituaient plus de 85% de la population, ont été gravement touchés. Environ 15% de la population n’a pas survécu. Aki Ollikainen s'est inspiré, pour son premier roman, de cet épisode tragique de l'Histoire. Y'a pas à dire, ce qui s'y passe est épouvantable. Les personnages, tant les bons que les méchants, se livrent une bataille intérieure sans merci, toujours tiraillés entre l’égoïsme et la générosité, la méfiance et la confiance. Certains, poussés dans leurs derniers retranchements, feront preuve du pire, alors que d'autres arriveront à garder une part de leur humanité.La construction du roman met en parallèle le quotidien des notables de la ville et celui des paysans qui tentent de gagner Saint-Pétersbourg. Le contraste entre ces deux mondes est révoltant. Si, au début, j'ai eu une peu de mal à passer d'un monde à l'autre, saisissant mal comment pouvait s'arrimer ces deux univers, j'ai vite réalisé le pourquoi de son comment.
Pendant que Marja et ses enfants se démènent pour survivre, Raakel, la femme d'un fonctionnaire, s'inquiète que son hibiscus rose de Chine ne fleurisse pas de l'hiver. Deux mondes, je vous le dis! Et puis, vers la fin, ces deux mondes se rejoignent, apportant une minuscule lueur d'espoir, somme toute bienvenue. Aki Ollikainen décrit le froid et la faim de façon viscérale, épidermique. Surtout la faim: le ventre vide, les crampes, la bouche sèche, les hallucinations. La faim est «un chat en colère grattant, grattant, enfonçant ses dents dans le creux de [l’]estomac». Le style ciselé, riche en nuances, crée une atmosphère ténébreuse dont j'ai eu un mal fou à m'extirper. Un roman sombre, d'une justesse bouleversante. Une lecture éprouvante, dont on ne sort pas indemne.La faim blanche est le premier titre de la collection Fictions du Nord des éditions de La Peuplade. Ça promet pour la suite!La faim blanche, Aki Ollikainen, traduit par Claire Saint-Germain, La Peuplade, 180 pages, 2016. (Publié en France chez Héloïse d'Ormesson)★★★★★