Je connaissais Marcus Malte grâce à un cadeau de Nombre Premier, Garden of love, dont j'ai gardé un souvenir troublant. Dans un registre tout autre, Marcus est parvenu à se démarquer parmi le flot des parutions de la rentrée littéraire, son dernier roman ayant été gratifié du prix Femina 2016. En dépit de la suspicion naturelle que j'éprouve envers les romans de chez Zulma (mais pourquoi diantre ne pas mettre un petit résumé en quatrième de couverture??), j'ai bravé tous les dangers et j'ai lu Le garçon.
Le synopsis
Le protagoniste, nommé le garçon tout au long du récit, naît auprès d'une mère sauvageonne dans le sud de la France, à l'orée du vingtième siècle. Élevé par elle à l'écart du monde, sans langage ou connaissance de la société, il se retrouve seul en dépit de son jeune âge lorsque cette dernière meurt. Il part alors, traverse la France, devient garçon de ferme, en est chassé, rencontre Brabek, un philosophe peu conventionnel, et, enfin, Emma, qui va l'aimer passionnément et lui donner un nom. Jusqu'à ce que la guerre sonne, et qu'il se retrouve enrôlé pour défendre le pays.
Mon avis
Une folie que ce roman, vraiment, je vous défie de vous en défaire avant la fin!
C'est d'ailleurs une gageure : le protagoniste, je le précise, ne dit pas un mot, jamais, tout au plus secoue-t-il la tête pour se faire entendre, mais il ne profère jamais la moindre syllabe à voix haute.
Le lecteur perçoit jusqu'aux états d'âme du garçon, et c'est impressionnant. Le roman est une fresque, qui donne à voir la France profonde de la première moitié du XXe siècle, ses campagnes et ses mœurs, un paysage que l'on ne croise guère que dans le roman de terroir.
Aux côtés du protagoniste, on se frotte à la vie sauvage, loin des hommes, où la survie est instinctive et se joue chaque jour de nouveau, puis l'on se frotte à la communauté, lorsque le garçon rejoint un hameau où il travaille à la ferme, l'occasion de constater le poids alors de croyances populaires, le quotidien en milieu rural, l'exigence des travaux.
Le temps passé aux côtés de Brabek ouvre une fenêtre sur un monde un peu différent, et sur un personnage haut en couleurs, peu conventionnel, et le lien qui se noue entre Brabek et le garçon touche, car c'est le premier de cette sorte qui se crée depuis la disparition de sa mère, dont l'auteur disait si justement qu'il pouvait en ressentir le poids sans même en avoir pleinement conscience.
Mais, bien entendu, les années auprès d'Emma sont les plus captivantes, l'amour créant un sillon allant de l'un à l'autre, imprégnant le garçon de manières que lui inculque Emma, et qui pour certaines, n'appartiennent qu'à eux, car Emma est impulsive et peu conformiste, elle est artiste et instinctive, elle vit auprès de celui qu'elle a nommé Félix un amour animal, une passion aussi tendre qu'enflammée. Et c'est pas là que s'insinue le poison qui entraînera Félix au loin : dans la forêt, il était seul et libre, auprès d'Emma il est un homme de la société, et, à l'heure de la guerre, un patriote, un soldat, tenu par l'obligation morale de se battre pour son pays, alors même que son nom ne figure dans aucun registre, et qu'Emma se bat bec et ongles pour le retenir à ses côtés.
Vient ensuite, bien sûr, la guerre, la Grande, et les séquelles que l'on sait pour avoir lu un peu de littérature, Le feu ou d'autres. Comme les autres, le garçon n'est pas indemne, et son retour auprès d'Emma ne lui rend pas l'idylle innocente qu'ils vivaient avant.
A chaque page de la vie du garçon, l'auteur interroge intelligemment son rapport au monde extérieur, aux normes sociales et sociétales, qui évolue bien entendu très subtilement, depuis une méconnaissance absolue jusqu'à un certain entendement, et cela en dépit du fait qu'il restera toujours en marge, en périphérie.
L'intrigue et l'écriture sont riches, et l'idée de départ, audacieuse, prend bientôt la forme d'un roman remarquable. De quoi occuper votre après-midi en cette période festive, et réfléchir au passage sur la condition humaine. Alléchant, n'est-il pas?
Pour vous si...
Morceaux choisis
"Le garçon ne peut savoir objectivement ce qu'il vient de perdre. Ce qui ne l'empêche pas d'en éprouver l'absence jusque dans le moindre atome de son être."
"La femme ignorait ce détail. Lorsqu'elle venait s'asseoir ici sur la grève elle croyait faire face à l'infini. Mer : c'est ainsi qu'elle l'a toujours nommée de son vivant. Et dans sa tête sans doute embarquait-elle sur la grande, la vraie. Celle qu'on prend sans esprit de retour. Celle qui ouvre sur le champ des possibles, qui nous transporte en des contrées vierges où l'on peut commencer, recommencer, effacer tout ce qui a été si mal écrit et se mettre enfin à écrire ce qui aurait dû l'être. Et alors à chaque fois se reproduisait le miracle de la petite lueur embrasant ses yeux et son âme.
Mais ce n'était pas la mer. Juste un échantillon, un ersatz, juste une reproduction miniature. On a les rêves qu'on peut. Quel que fût celui de la femme il n'avait pas l'envergure qu'elle imaginait. Elle est partie en emportant avec elle cette illusion. Mystifiée de bout en bout. Qu'importe, souvent compte davantage l'idée qu'on se fait des choses que les choses elles-mêmes."
Note finale4/5(très bon)
Le synopsis
Le protagoniste, nommé le garçon tout au long du récit, naît auprès d'une mère sauvageonne dans le sud de la France, à l'orée du vingtième siècle. Élevé par elle à l'écart du monde, sans langage ou connaissance de la société, il se retrouve seul en dépit de son jeune âge lorsque cette dernière meurt. Il part alors, traverse la France, devient garçon de ferme, en est chassé, rencontre Brabek, un philosophe peu conventionnel, et, enfin, Emma, qui va l'aimer passionnément et lui donner un nom. Jusqu'à ce que la guerre sonne, et qu'il se retrouve enrôlé pour défendre le pays.
Mon avis
Une folie que ce roman, vraiment, je vous défie de vous en défaire avant la fin!
C'est d'ailleurs une gageure : le protagoniste, je le précise, ne dit pas un mot, jamais, tout au plus secoue-t-il la tête pour se faire entendre, mais il ne profère jamais la moindre syllabe à voix haute.
Le lecteur perçoit jusqu'aux états d'âme du garçon, et c'est impressionnant. Le roman est une fresque, qui donne à voir la France profonde de la première moitié du XXe siècle, ses campagnes et ses mœurs, un paysage que l'on ne croise guère que dans le roman de terroir.
Aux côtés du protagoniste, on se frotte à la vie sauvage, loin des hommes, où la survie est instinctive et se joue chaque jour de nouveau, puis l'on se frotte à la communauté, lorsque le garçon rejoint un hameau où il travaille à la ferme, l'occasion de constater le poids alors de croyances populaires, le quotidien en milieu rural, l'exigence des travaux.
Le temps passé aux côtés de Brabek ouvre une fenêtre sur un monde un peu différent, et sur un personnage haut en couleurs, peu conventionnel, et le lien qui se noue entre Brabek et le garçon touche, car c'est le premier de cette sorte qui se crée depuis la disparition de sa mère, dont l'auteur disait si justement qu'il pouvait en ressentir le poids sans même en avoir pleinement conscience.
Mais, bien entendu, les années auprès d'Emma sont les plus captivantes, l'amour créant un sillon allant de l'un à l'autre, imprégnant le garçon de manières que lui inculque Emma, et qui pour certaines, n'appartiennent qu'à eux, car Emma est impulsive et peu conformiste, elle est artiste et instinctive, elle vit auprès de celui qu'elle a nommé Félix un amour animal, une passion aussi tendre qu'enflammée. Et c'est pas là que s'insinue le poison qui entraînera Félix au loin : dans la forêt, il était seul et libre, auprès d'Emma il est un homme de la société, et, à l'heure de la guerre, un patriote, un soldat, tenu par l'obligation morale de se battre pour son pays, alors même que son nom ne figure dans aucun registre, et qu'Emma se bat bec et ongles pour le retenir à ses côtés.
Vient ensuite, bien sûr, la guerre, la Grande, et les séquelles que l'on sait pour avoir lu un peu de littérature, Le feu ou d'autres. Comme les autres, le garçon n'est pas indemne, et son retour auprès d'Emma ne lui rend pas l'idylle innocente qu'ils vivaient avant.
A chaque page de la vie du garçon, l'auteur interroge intelligemment son rapport au monde extérieur, aux normes sociales et sociétales, qui évolue bien entendu très subtilement, depuis une méconnaissance absolue jusqu'à un certain entendement, et cela en dépit du fait qu'il restera toujours en marge, en périphérie.
L'intrigue et l'écriture sont riches, et l'idée de départ, audacieuse, prend bientôt la forme d'un roman remarquable. De quoi occuper votre après-midi en cette période festive, et réfléchir au passage sur la condition humaine. Alléchant, n'est-il pas?
Pour vous si...
- Vous avez toujours eu un faible pour Tarzan et Moogli, grrrr!! (enfin, modérément pour Moogli, c'est un enfant tout de même)
- Autres variantes : Mimi-Siku, Rocky (de l'Horror Picture Show, of course, pas si sauvage, mais ignorant des conventions sociales, pauvre petit), Kocoum (si si, souvenez-vous, le malheureux indien délaissé par Pocahontas qui lui préfère un blondinet, quelle idée), ou encore le yéti. Et, je précise, je ne juge pas.
Morceaux choisis
"Le garçon ne peut savoir objectivement ce qu'il vient de perdre. Ce qui ne l'empêche pas d'en éprouver l'absence jusque dans le moindre atome de son être."
"La femme ignorait ce détail. Lorsqu'elle venait s'asseoir ici sur la grève elle croyait faire face à l'infini. Mer : c'est ainsi qu'elle l'a toujours nommée de son vivant. Et dans sa tête sans doute embarquait-elle sur la grande, la vraie. Celle qu'on prend sans esprit de retour. Celle qui ouvre sur le champ des possibles, qui nous transporte en des contrées vierges où l'on peut commencer, recommencer, effacer tout ce qui a été si mal écrit et se mettre enfin à écrire ce qui aurait dû l'être. Et alors à chaque fois se reproduisait le miracle de la petite lueur embrasant ses yeux et son âme.
Mais ce n'était pas la mer. Juste un échantillon, un ersatz, juste une reproduction miniature. On a les rêves qu'on peut. Quel que fût celui de la femme il n'avait pas l'envergure qu'elle imaginait. Elle est partie en emportant avec elle cette illusion. Mystifiée de bout en bout. Qu'importe, souvent compte davantage l'idée qu'on se fait des choses que les choses elles-mêmes."
Note finale4/5(très bon)