Si je suis un admirateur du travail de Mark Millar, j'admets avoir été déçu une fois, principalement, par une de ses oeuvres. je veux parler de Nemesis, qui fit couler de l'encre et bien des polémiques lors de sa sortie. Je n'avais pas aimé alors, mais comme le temps change parfois la donne, l'heure est venue d'une relecture, des années plus tard, et d'un nouvel avis. Alors, ce Nemesis, le rachat à sonné?Nemesis est le plus grand super criminel de la planète. Du haut de sa morgue et de sa philosophie abjecte, il semble narguer la bien pensance et les polices du monde entier, et le terrorisme est sa seule doctrine. Tout habillé de blanc, il plane comme un fantôme mortel sur ses victimes, et se joue d'elles avec cruauté. S'il officie principalement en Asie (le début de cet album le voit commettre un carnage ferroviaire au Japon), il ne dédaigne pas rendre visite à l'Amérique, pour régler ses comptes (c'est tout du moins ce qu'il prétend, dans un premier temps) avec le commissaire Blake Morrow, une sorte de super flic que rien n'arrête et pour qui le boulot est avant tout une mission inaliénable. Morrow reçoit d'ailleurs un billet doux éloquent : sa mort est déjà programmée, et dès son arrivée aux States, Nemesis fait parler la poudre : il met la main sur le président des Etats-Unis en personne, investit le Pentagone et en assassine quasiment tout le personnel, avant de se laisser prendre au piège que lui tend la police, et de se faire capturer. Un bref répit de toute façon au programme ; le criminel a tout planifié depuis le début, et se laisser alpaguer était pour lui le meilleur moyen d'initier son plan retors et somptueusement horrible. Le sang va couler, les révélations choquantes vont fuser, le duel entre le superflic et sa cible va être épique. Nous sommes dans un vrai western moderne, gore et anticonformiste. Sauf que le bad guy semble avoir toujours un coup (voire deux) d'avance... L'opposition est très dychotomique : le méchant est franchement méchant, le gentil presque trop gentil. De toutes façons, cet album ne prend pas le temps de fouiller la psyché de ses personages, il est trop occupé à revendre de l'hémoglobine au litre. C'est bien le hic avec Nemesis : comment un individu peut-il acquérir de tels moyens, une telle philosophie, réussir de tels coups, et dans quel but?Si la fin répond en partie à la première question, le reste est suspendu dans les limbes des mystères du scénario. A coté, Kick-Ass est censé être de la merde, dixit Millar, l'auteur des deux oeuvres. Désolé, mais je m'inscris en faux. Tout d'abord Nemesis a le défaut (ou la qualité) d'aborder un sujet sensible, qui l'est devenu plus encore récemment, à savoir le terorisme. Les innocents subissent, il frappe sans considération pour les foules, se complait à répandre le mal, dans un costume blanc immaculé qui est un peu l'antithèse de celui de Batman, dont il reprend par ailleurs la légende fondatrice, pervertie (l'individu qui serait parti à la recherche d'une nouvelle identité, après la mort de ses parents -ici ils ont subi la peine de mort ou le suicide- et aurait acquéri tout un arsenal de techniques de défense, et une richesse colossale, pour revenir ensuite se venger). Nemesis est riche, il s'ennuit, alors il tue. Une version revisitée et outrancière d'Orange Mécanique, un sous-produit à la Garth Ennis (qui lui structure bien mieux les poussées de violence, et trouve toujours le moyen de les justifier, ou presque), ou juste un comic-book fun et irrévérencieux, à prendre au quatrième degré? L'hésitation reste en permanence en balance dans cet album, et si la fin semble punir le grand criminel, les dernières planches remettent en question le triomphe du bien sur le mal absolu, et incarne cette fascination morbide pour les grands cerveaux criminels, des ordures à passer par les armes qui finissent par dégager un capital sympathie tant leurs machinations sont complexes et outrancières. Reste les planches de McNiven, qui en tant qu'artiste au talent indiscutable, sort encore son épingle du jeu. Son trait est encré avec parcimonie et peu appuyé, comme si derrière l'incroyable et effroyable déferlement de sang, il souhait prendre un peu de recul et dépersonnifier l'ensemble. C'est du haut niveau, mais pas le sommet de sa carrière. Les scènes d'action quand Nemesis se déchaîne, sont très efficaces, et bien réglées. Millar a probablement souhaité nié à son personnage une vraie empathie, une réelle profondeur existentielle, pour ne pas magnifier le nihilisme primaire qui l'habite et le définit. Il met en avant le rythme, l'action, sacrifiant de la sorte les motivations et l'humanité des personnages. Nous lisons donc un grand comic-book en terme de violence spectaculaire, mais qui n'offre guère de clé de lecture quand au sens de la narration, et ses ambitions. Blockbuster de l'été, mais film jamais récompénsé, dirait-on au cinéma. A lire aussi : Starlight, petit bijou de Millar et Parlov
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