"Si vous n’êtes pas capable d’un peu de sorcellerie, ce n’est pas la peine de vous mêler de cuisine" (Colette).

Est-ce moi, ou mes lectures sont souvent l'occasion de parler de nourriture et de cuisine ? Hum... Je plaide coupable... Nouvel exemple, et d'actualité, en plus, puisque c'est une oie et la manière de l'apprêter qui tiennent une bonne place dans notre livre du soir, avec un roman drôle et divertissant, signé par un romancier débutant mais que beaucoup d'entre vous connaissent certainement comme scénariste de bande dessinée : "Lanfeust", "Trolls de Troy", entre autres succès de librairie, c'est lui. Mais Christophe Arleston a voulu se lancer un nouveau défi et signe "Le souper des maléfices", publié aux éditions ActuSF qui, depuis cet automne, ont élargi leur catalogue en lançant une collection de fantasy appelée Bad Wolf. Ici, pas de guerrier bodybuildé, d'elfe fourbe ou de monstre verdâtre et pustuleux, mais un univers léger et divertissant, plein d'humour et de trouvailles assez rigolotes, d'action, de recettes de cuisine alléchantes et... d'amour, ah, l'amour...
Slarance est une ville portuaire calme et prospère, dirigée par un dynarque, Ib Morkedaï, placé à la tête d'un comité de sept ducs (enfin, six, depuis le suicide de l'un d'entre eux). Une cité sans histoire, en apparence, mais qui connaît ces derniers temps quelques problèmes, en termes d'intendance et en termes de sécurité.
Depuis quelques mois, le blé, le bon blé d'antan s'est sérieusement raréfié. A la place, la population doit se contenter d'une céréale grossière et sans goût, mais qui pousse en abondance dans toute la région. Tellement abondante qu'elle devient l'aliment de base des habitants de Slarance, entraînant de sérieux risques pour sa santé...
Le dynarque s'inquiète d'ailleurs de ces changements de mode de vie et de la mauvaise mine qui se répand parmi ses concitoyens à une vitesse affolante. L'une de ses préoccupations est de comprendre d'où vient ce blé malsain et dangereux. Et, pour cela, il a lancé ses services secrets sur la piste de l'indélicat importateur, afin de découvrir la nature de ces grains qui sont comme empoisonnés.
C'est là que le deuxième problème intervient, celui de la sécurité. En effet, alors que les Services Particuliers étaient sur la brèche, une hécatombe s'est produite. Un par un, tous les agents du dynarque sont morts, dans des conditions bizarres, en apparence naturelle ou accidentelle, mais la coïncidence est trop grosse pour être vraie.
Ib Morkedaï en est certain, on s'est débarrassé de ses agents les plus expérimentés, et l'objectif des commanditaires de cette opération ne comptent certainement pas s'arrêter là. C'est l'avenir et la stabilité de Slarance qui sont désormais en jeu. Et, pour déjouer ce complot, il ne reste au dynarque qu'un seul atout.
Enfin, un atout... Elle s'appelle Zéphyrelle, c'est une frêle jeune femme, fille d'un des plus fameux guerriers de Slarance, une légende de son vivant, un véritable mythe depuis sa mort. Mais, voilà, si la demoiselle est fort prometteuse, elle est totalement inexpérimentée et se montre parfois un peu trop intrépide. A elle de se canaliser pour sauver Slarance, en commençant par échapper aux tueurs.
Zéphyrelle est une combattante hors pair et une as du déguisement. Ses talents en la matière sont ceux d'un transformiste, elle est capable de modifier son apparence en pleine filature. Idéal pour ne pas se faire repérer. Mais, elle est un peu trop enthousiaste, un peu trop sûre de ses forces, un peu trop prête à prendre des initiatives et à se jeter dans la gueule du loup...
Pour sa première enquête, elle veut trop en faire, ce qui est louable, mais fort dangereux. Pourtant, malgré quelques erreurs de débutantes et quelques imprécisions coupables, elle se débrouille pas mal, Zéphyrelle. Menant de front deux objectifs, elle va se lancer à la recherche des producteurs du blé bizarre tout en cherchant à comprendre qui a dézingué ses collègues.
Et, rapidement, pour cette deuxième partie, elle va trouver une piste qui lui semble sérieuse. Partout, au cours de ses investigations, elle a croisé cet homme. Elle non plus ne croit pas aux coïncidences, il ne peut donc être qu'un suspect crédible. Elle décide alors de trouver les preuves de sa culpabilité en ne le lâchant pas d'un pouce...
L'homme en question s'appelle Fanalpe et il est, sans aucun doute, le meilleur cuisinier de Slarance, et peut-être du monde entier. Depuis peu, il est au service du Duc de Plucharmoy, un des membres du comité ducal qui dirige Slarance sous la houlette du dynarque. C'est un patron exigeant et, disons-le, glouton, comme en atteste sa corpulence.
Mais cet appétit gargantuesque est une opportunité remarquable pour Fanalpe qui peut expérimenter sans cesse et créer toutes sortes de recettes plus délicieuses les unes que les autres. Pour lui, la cuisine est plus qu'un art, c'est un sacerdoce. Il s'y consacre corps et âme, avec une précision et une méticulosité extraordinaires.
Jusqu'au jour où il croise le regard de la ravissante Fiollulia. Le coup de foudre est immédiat, mais la demoiselle est noble, parente éloignée du dynarque, et Fanalpe n'est qu'un simple cuisinier. Peu importe, désormais, seule compte l'idée de séduire la belle et, pour cela, il compte jouer sur ses extraordinaires talents de cuisinier. Avec un petit ingrédient en plus...
"Le souper des maléfices" est une friandise, un roman-bonbon qu'on laisse fondre sur la langue et qui procure plaisir et bien-être. C'est léger, doux et plein de drôlerie, on imagine volontiers cette histoire (mais peut-être suis-je influencé par le parcours de Christophe Arleston) adaptée en bande dessinée ou en dessin animé.
Zéphyrelle m'a énormément amusée par son caractère bien trempé, ses aptitudes tout à fait remarquables (ses filatures sont une merveille à chaque fois, avec ses changements de costumes) mais aussi son côté impulsif et entier. Elle a besoin de s'aguerrir et deviendra certainement un agent remarquable, mais là, elle a encore quelques ratés et l'on s'en réjouit.
Ses maladresses et ses erreurs sont des ressorts comiques parfaits et sa relation avec le dynarque, dont elle devient par la force des choses, l'éminence grise, est savoureuse. Là encore, Arleston s'amuse à mettre en scène la discrétion qui sied à cette relation avec talent et humour, pour placer différents personnages dans des situations souvent incongrues.
Quant à Fanalpe, on le voit cuisiner avec l'eau à la bouche, les plats qu'il mitonne sont tous plus alléchants les uns que les autres, jusqu'à cette oie avec laquelle il entend séduire Fiollulia. Mais c'est un artiste, dans son genre, avec le côté un peu étourdi et foufou que cela implique. Alors, quand l'amour s'en mêle, il perd les pédales, au point de se lancer dans une improbable et délirante quête.
Mais laissons les personnages, je vous laisse faire connaissance avec eux, pour aborder deux thèmes forts du livre qui m'ont marqué. Le premier concerne ce fameux blé qui, s'il n'est pas à proprement parler empoisonné, est en passe de décimer la population de Slarance. On a beau être dans une lecture légère et pas du tout prise de tête, Arleston nous rattrape par la manche pour nous avertir.
Dans ce roman de fantasy comique, voilà que l'auteur nous glisse une tirade bien sentie sur les OGM et plus particulièrement, sur Monsanto. Mais, comme on n'est pas dans notre triste réalité, on va passer ce sujet par le prisme du merveilleux. Et voilà donc un blé ensorcelé, créé par alchimie. L'idée est non seulement très amusante, mais aussi très pertinente et très bien menée.
Cette facette du roman ouvre sur des questions nettement plus traditionnelles dans la fantasy : la politique, le pouvoir, les complots, les trahisons... Des thèmes battus et rebattus, traités ici avec cette originalité bienvenue et la même fantaisie que tout le reste. Mine de rien, on a passé un bien agréable moment de lecture tout en abordant des questions de fond tout à fait importantes.
Ce n'est toutefois pas tout. Car ce blé magique fait pendant à l'activité de plus en plus frénétique de Fanalpe. A l'ingrédient secret qui doit tout changer dans la vie du cuisinier. Et cet élément, c'est la magie. J'ai adoré l'idée d'une cuisine magique, capable d'accomplir des choses exceptionnelles par le simple agencement des mets, des goûts et des couleurs.
A sa manière, Fanalpe est naturellement un magicien. Il a le don pour préparer les plats les plus succulents et créatifs que puisse imaginer un esprit humain. Mais, ceux qui ont la chance de goûter ses plats ne font guère attention à lui. C'est Plucharmoy qui récolte systématiquement tous les lauriers. Il faut donc quelque chose de plus pour parvenir à son objectif : conquérir le coeur de sa belle !
Mais la magie, c'est comme la nitroglycérine, ça se manipule avec les plus grandes précautions ! Et Fanalpe va découvrir que l'on risque plus en se faisant apprenti sorcier qu'en restant maître queux, et le meilleur du pays. Le lecteur, lui, se régale de ces aventures étonnantes qui vont jalonner la quête amoureuse du chef...
Je suis sorti de cette lecture avec la banane, mais aussi avec une furieuse envie de me jeter sur tout ce que contenait mon réfrigérateur... Bon, je n'ai pas le don de Fanalpe pour la cuisine, ni les moyens de Plucharmoy pour avoir mon rond de serviette à l'une des tables les plus courues de la capitale... Alors, on a fait avec, mais sans que cela gâche le plaisir issu de cette lecture.
Reste à savoir si l'on retrouvera ou non Zéphyrelle et Fanalpe dans de nouvelles aventures pleine d'espionnage et de cuisine. Je ne suis pas certain qu'il s'agisse du point de départ d'une série, mais franchement, ça me plairait assez. Parce que ce genre de lecture est nécessaire, de temps en temps, pour s'évader.
Et trouver des idées pour les prochains réveillons ! Bonne année à tous !