Avez-vous repéré cette très (très) jolie couverture apparue dans le rayon YA il y a quelques semaines ?
Lady Helen se présente avec une esthétique à la Jane Austen (à raison). Ce que la couverture ne vous dit pas, en revanche, c'est que si ce roman a certes un pied dans la romance historique, l'autre est fermement planté dans le fantastique.
Déserrez votre corset et remontez vos longs gants blancs, il est l'heure d'aller kicker du démon.
Londres, 1912. Helen Wrexhall s'apprête à entrer dans le monde au cours de la cérémonie de présentation à la reine. Tout devrait se passer à merveille mais plusieurs événements s'enchainent et viennent semer le trouble dans l'esprit d'Helen. Entre son obsession soudaine pour une miniature représentant sa mère, la disparition d'une servante, les frasques surprenantes de l'une de ses meilleures amies et le retour d'un jeune noble aussi détesté que mystérieux, elle n'est pas au bout de ses surprises !
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Cette chronique est rédigée à quatre mains par Bloup et Lupiot, qui sont d'accord sur tous les éléments d'analyse, sauf que l'une a plutôt aimé le roman, et l'autre plutôt moins (on vous laisse deviner qui a pensé quoi).
C'est donc parti pour le classique " Les + ", " Les - ", en deux grandes parties thématiques.
I. LE MÉLANGE ENTRE ROMANCE, HISTORIQUE, FANTASTIQUE & MYSTÈRE#1. Une fiction historique sous la Régence anglaise, c'est une excellente idée (surtout pour un jeune public, qui n'est pas habitué à cette période). Période riche et complexe, la Régence se situe aux alentours de 1811-1837, entre les romans de Jane Austen et l'ère victorienne. Cette dernière est mieux connue : on pense à Sherlock Holmes, aux Sally Lockhart ou tout simplement à la majorité de la littérature steampunk !
#2. Un vampire réinventé et re-vitaminé. Défi quasi-impossible à relever ! Pourtant, Alison Goodman apporte une vraie créativité, assez rafraîchissante. Ses démons suceurs d'énergie fonctionnent. Même si le mot " vampires " n'est jamais écrit, ils empruntent clairement à un imaginaire vampirique classique teinté de monstre japonais et (c'est plus discret) de références bibliques. Alors oui, le mix est complètement bizarre de prime abord, mais on se laisse séduire par l'horreur et la sensualité malsaines des créatures.
#0. Un mélange des genres cool, mais pas toujours bien fichu. (Mais cool.) La romance historique et le fantastique se lient bien, mais le roman s'ouvre surtout sur du mystère (avec des histoires de disparition et un soupçon d'espionnage). Or, les codes propres à chacun de ces genres sont quand même bien différents les uns des autres, du coup, au début, on peine à trouver son rythme. Dès que le fantastique prend le pas sur le mystère, ça fonctionne mieux. On finit par être entraîné et, surtout, la toute fin est très cadencée et bourrée d'action.
#1. Un surplus d'informations historiques qui déséquilibre la narration. C'est peut-être naïf de notre part mais nous pensons que le focus, quand on raconte une histoire, devrait être mis sur l'histoire.
Ici, l'auteure a fait tant de recherches sur l'époque de la Régence (les danses, les journaux, les codes, etc.) qu'elle veut TOUT mettre, comme pour prouver son statut de bonne élève. Résultat : on est gavés comme des oies.
Cela se remarque dans de très nombreuses scènes. Par exemple :
On connaît le nom de tous les journaux que lit l'oncle de Helen le matin, alors qu'on s'en tamponne et que ça n'apporte rien au récit ; on subit la description de personnages historiques qui n'ont rien à voir avec l'intrigue, mais aussi les détails sur le fonctionnement des bals, repas en société ... :
" (...) alors que les conventions d'un dîner civilisé contraignaient Helen à se consacrer à ses voisins immédiats, elle prit une pêche et, au prétexte de la peler, se concentra sur la conversation des convives d'en face. "
Beaucoup de phrases sont blindées d'infos factuelles de ce genre. Ici, ç'aurait été plus limpide d'asseoir Helen entre les deux personnes qu'elle veut espionner, mais c'est vrai que dans ce cas l'auteure n'aurait pas eu l'occasion de vous apprendre que dans un dîner sous la Régence, la bienséance veut qu'on parle à ses voisins de gauche et droite !
Ce bombardement de détails historiques n'est pas naturel.
#2. Un rythme trop lent sur l'ensemble du roman. Des scènes interrompues et nourries de bien trop d'informations sur la société, des péripéties très espacées et sur-analysées.
Ce problème de rythme est donc a priori l'héritier en ligne directe du précédent. On espère pour la suite de la saga qu'il mourra sans descendance.
II. LES PERSONNAGES À LA JANE AUSTEN & DOWNTON ABBEY#1. La relation entre Helen et sa femme de chambre, Darby, est vraiment sympa. On voit naître progressivement une belle amitié, faite de confiance et de loyauté, et donc d'équilibre, alors que l'une est sensée servir l'autre. Ça rappellera aux fans de Downton Abbey une certaine dynamique à la fois surannée et touchante qui lie les domestiques aux jeunes nobles de la maison...
#2. Le personnage de Lord Carlston est irrésistiblement fascinant. Oui, il nous rappellera le romantic interest d'une certaine Elizabeth Bennet, oui, ce noble super classe, intelligent et mystérieux (et légèrement grognon) à la réputation sulfureuse, c'est du déjà vu. Mais c'est bien fait. S'il faut l'avouer, l'envie de retrouver ce personnage joue à 50 % dans l'envie de lire la suite.
#3. Une héroïne à la fois surprotégée et effrontée, qui réussit à trouver son équilibre. Helen est une jeune femme bien inscrite dans son époque et en cela, conditionnée par la société à faire ce qu'on attend d'elle. Pour autant, elle est intelligente et a un sens aigu de l'observation, et sait remettre en question ce qui doit l'être. Elle cherche à s'émanciper des figures masculines qui la dominent, à faire ses propres choix...
#1. Une héroïne pas toujours cohérente. Quand elle obtient des pouvoirs qui lui permettent littéralement d'envoyer valdinguer les menaces (& hommes) qui pèsent sur elle, on se dit qu'elle sera toute éplapourdie, mais non. Elle passe les deux tiers du livre à s'en plaindre, parce que combattre les démons, ce n'est pas pour elle, c'est une FILLE, elle est FAIBLE, tuvoi. Pas cohérent avec la caractérisation féministe entamée avant.
Du coup, son incarnation la rend parfois agaçante. Helen se révèle lâche et nombriliste : alors qu'elle est la seule à pouvoir combattre une certaine menace qui pèse sur le pays, elle ne veut pas. Il n'est pas impossible d'avoir envie de la claquer une fois ou deux.
#2. Le triangle amoureux ultra-classique. Avec d'un côté le BG gentil, beau, intelligent, plein de compassion et de respect, le mec parfait. Et de l'autre, le BG mystérieux un peu asocial, au sombre passé. (#Darcy !) Helen fera-t-elle le bon choix ?
EN CONCLUSION
Il y a vraiment du bon comme du mauvais dans ce roman et comme nous vous le disions, malgré notre accord sur tous les ingrédients de la recette, nous ne goûtons pas le résultat avec le même enthousiasme : l'une de nous a, dans l'ensemble, beaucoup aimé, quand l'autre a, dans l'ensemble, beaucoup soupiré d'exaspération.
Le but de cet article exhaustif est de permettre aux addicts de reconnaître leur came, et aux autres de poursuivre leur chemin tranquillement.
En vous souhaitant une bonne lect-
Ah, si, encore une chose.
IL FAUT ARRÊTER DE RACONTER TOUT LE BOUQUIN
SUR LA 4 e DE COUVERTURE,
BORDEL AQUEUX.
Surtout dans un roman au rythme aussi compassé, c'est tuer la narration que de dévoiler dès le résumé des éléments d'intrigue qui n'arrivent qu'à la moitié du récit. Une tendance " bande-annonce qui en dit trop " de plus en plus marquée dans l'édition jeunesse, et, comme pour les trailers trop révélateurs, c'est idiot et pénible, merci d'arrêter ça.
En vous souhaitant une bonne lecture,