Riquet à la houppe, Amélie Nothomb

Par Sara
On commence 2017 en beauté, au coin du poêle, avec le Nothomb de l'année. Amélie revisite un conte dont j'avais soigneusement oublié jusqu'à l'existence, la perspective d'une madeleine de Proust.

Le synopsis
Déodat naît du mariage aussi heureux qu'improbable d'Enide et d'Honorat, et est affublé dès la naissance d'une laideur repoussante. En grandissant, il se révèle aussi intelligent qu'il est laid, et parvient par ce biais à survivre aux quolibets et aux méchancetés dont ses camarades l'accablent, grâce à sa passion pour les oiseaux et aux traits d'esprit qu'il sait concevoir à l'envi.
Trémière est au contraire la plus belle enfant, douée d'un don de contemplation qui lui vaut dès son plus jeune âge d'être considérée comme stupide, y compris par sa propre mère. C'est pourquoi elle passe le plus clair de son temps auprès de sa grand-mère aimée, Passerose. A la mort de Passerose, Trémière se retrouve seule au monde, dotée d'une beauté éclatante qui l'isole dans la plus grande solitude.
Jusqu'au jour, bien entendu, où les chemins de Déodat et de Trémière se croisent.
Mon avis
Un Nothomb comme on les aime!
Moins impertinent, sans doute, que certains de ses plus grands romans (Le sabotage amoureux, Stupeur et tremblements ou encore la Métaphysique des tubes), mais néanmoins toujours original, décalé, animé de cette verve unique qui fait l'empreinte Nothomb, et l'on sait comme il est rare de pouvoir identifier un auteur à la lecture de quelques lignes, c'est pourtant bien l'effet produit par Riquet à la houppe.
On est donc en plein dans ce que l'auteur sait et aime faire, revisiter un conte, expérience déjà relativement concluante au travers du roman Barbe bleue par exemple. Amélie Nothomb exhume ici un conte peut-être moins populaire, et dont le titre vous dira sans doute quelque chose, car Riquet, en dehors de la station de la ligne 7, tout près de la mirifique bibliothèque Claude Lévi-Strauss (mes hommages), n'est pas un nom très commun.
Les personnages impliqués ont tous leur singularité, depuis les parents de Déodat jusqu'à la grand-mère de Trémière, leurs camarades de classe respectifs, leurs flirts, tous concourent au bien-être et à la bonne disposition du lecteur qui ne demande qu'à se laisser séduire, et qui l'est!
L'humour rend les pires anecdotes amusantes, crée une distance et un attachement immédiats, quelle arme redoutable (rien de nouveau sous le soleil, me direz-vous). Le sort de Déodat, celui de Trémière nous affectent tour à tour, pour un peu on crierait à la face du monde qu'il est bien lâche de maltraiter ces pauvres hères incompris, si adorables et inoffensifs.
Bref, le livre se lit d'une traite, et enveloppe d'une bonne humeur dont on se croyait dépourvu depuis la désertion des beaux jours ; il nous enjoint à croire en un plan secret de l'univers pour faire advenir l'osmose entre les êtres doux, l'oasis de l'amour véritable partagé, que tout par ailleurs nous décourage d'espérer. Heureusement que ces choses-là existent chez Nothomb, pour un peu, on serait tenté d'y voir, sinon, une odieuse imposture.
Pour vous si...
  • L'humour de Nothomb vous arrache systématiquement un sourire
  • Vous avez un faible pour les contes de notre enfance revisités au goût du jour

Morceaux choisis
"Ce jeune homme de dix-sept ans, rond de corps et d'esprit, était tombé fou d'amour pour l'enfant chétive.
_Tu pourrais trouver mieux qu'une candidate au suicide, lui avait-elle dit.
_Épouse-moi.
_Je ne fais pas le poids.
_A nous deux, nous le faisons.
Comme aucun autre destin ne l'attendait, la jeune fille finit par accepter."
"Il y aurait une thèse à écrire sur le besoin qu'a éprouvé le français de ridiculiser ces animaux splendides [ndlr : les oiseaux]. D'instinct, Déodat soupçonna que la jalousie devait y avoir joué un grand rôle."
"_Votre fils est en train de devenir bossu.
_Mais ça n'existe plus, aujourd'hui.
_Ça n'existe plus parce que ça se soigne. Seulement, jeune homme, il va falloir porter un corset pendant plusieurs années. Ainsi nous pourrons annuler cette gibbosité.
_J'aime mieux la garder, intervint Déodat.
_Ne vous inquiétez pas pour ce corset, vous vous habituerez très vite.
_Là n'est pas la question. Il semblerait que la nature ait décidé de me parer de toutes les horreurs. Son projet me fascine, je ne veux pas le contrarier."
"Quand un humain vient de souffrir d'un grave chagrin d'amour, soit il demeure célibataire très longtemps, soit il se marie aussitôt."
"_Mon physique me prédisposait à devenir un homme entretenu.
Trémière, qui ne voyait plus la laideur du jeune homme depuis qu'elle l'aimait, ne comprit pas l'humour du propos."
Note finale3/5(cool)