Rébecca meurt au bout de son sang en accouchant d’un quatrième enfant à Grande-Baie, au Saguenay, en 1880. La région est jeune, la vie y est particulièrement rude. Le couple a trois filles et Joseph, pour nourrir sa famille, travaille en forêt l’hiver et sur la ferme en été.
La mort de Rébecca est l’occasion pour lui de changer de vie. Il en a assez de travailler comme une bête. Il met le feu à sa maison avant les funérailles et s’enfuit avec ses filles pour refaire sa vie aux États-Unis. Il va enfin mettre derrière lui sa frustration et une colère qui le tenaille.
« Rébecca s’était toujours comportée en femme de devoir, plutôt froide et distante. Il l’avait adorée, pourtant, et comblée de petits soins. Mais ses gentillesses semblaient la laisser indifférente. D’une grande beauté, non seulement elle attirait l’admiration et le désir des hommes, mais elle suscitait aussi l’envie des autres femmes sans même sans rendre compte. Chaque hiver, lorsqu’il la quittait malgré lui pour les chantiers, Joseph se languissait d’elle sans bon sens, envieux de tous ceux qui passaient la saison froide à Grande-Baie. » (p, 13)
Long périple
Les voyageurs traversent le parc de la Galette, suivant un sentier à peine tracé dans les montagnes, débouchent à Baie-Saint-Paul où vivent les grands-parents Laurin. Ce n’est qu’une étape : Joseph entend s’installer à Lowell où habite Léontine, l’une de ses sœurs.
« J’en ai fini avec ce pays de misère ! Je m’en vais aux États-Unis. Là où il fait bon vivre », répète-t-il à sa mère. Anne, Marguerite et Camille doivent suivre leur père dans ce long périple qui les mène à Québec, Lévis et Sherbrooke. Ensuite, l’équipage emprunte le fameux chemin Craig qui mène aux États-Unis. Joseph boit pour écraser les remords. Après tout, il a brûlé le corps de sa femme à Grande-Baie avant de prendre la fuite.
Tout près de Colebrook, dans le New Hampshire, la jeune Camille est heurtée par un attelage de chevaux et se retrouve entre la vie et la mort. Les Laurin doivent s’arrêter, le temps que l’enfant recouvre la santé.
Joseph s’engage comme homme à tout faire chez Jessie, une jeune et séduisante veuve. Les filles retrouvent un semblant de vie familiale. Il arrive ce qui doit arriver entre un homme et une femme. Tout pourrait s’arranger, le bonheur s’installer, mais Joseph continue à vider les bouteilles et à imaginer une vie plus facile.
Lowell
La famille finira par atteindre Lowell, par retrouver Léontine la sœur de Joseph, une femme dure et volontaire. Les exilés de la première heure repartent au Canada avec leur pécule pendant que les arrivants prennent leur place dans des usines, travaillent six jours sur sept dans des conditions inhumaines. Joseph déchante. La vie aux États-Unis n’est pas ce qu’il imaginait. Il perd peu à peu contact avec la réalité, abandonne ses filles pour s’inventer un autre rêve impossible.
Marguerite et Anne apprennent à se débrouiller parce que leur père bascule de plus en plus souvent dans l’alcool, sans compter les manœuvres du cousin Armand qui considère ses cousines comme sa propriété privée. Elles ont du ressort et surtout un courage à toute épreuve. La jeune Camille est dorlotée par la famille du médecin qui la soigne et l’adopte à Colebrook.
Bonheur possible
« Au bout de l’exil » fait revivre une époque où les Québécois n’hésitaient pas à franchir la frontière pour tenter de se forger un meilleur sort. Une écriture efficace, des personnages fascinants, une action soutenue comme dans les meilleurs suspenses.
« Au bout de l’exil ; La grande illusion » de Micheline Duff est publié chez Québec-Amérique.
http://www.quebec-amerique.com/auteur-details.php?id=518
Yvon Paré
Lecteur attentif, il a rédigé de nombreux articles portant sur les œuvres des écrivains du Québec dans Le Quotidien et Progrès-Dimanche où il œuvré comme journaliste. Il collabore à Lettres québécoises depuis une quinzaine d’années en plus d’être l’auteur d’un blogue fort fréquenté.
Le voyage d’Ulysse, un roman où il suit les traces du célèbre personnage d’Homère, en l’invitant au Lac-Saint-Jean et en inventant un monde possible et imaginaire. Il a remporté le prix Ringuet du roman de l’Académie des lettres du Québec avec ce roman en 2013 en plus du prix fiction du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Son dernier ouvrage, L’enfant qui ne voulait plus dormir, un carnet fort louangé, explore les chemins de la création.
On peut retrouver l’ensemble de ses chroniques sur http://yvonpare.blogspot.com/.