[...] Son smartphone affichait vingt-et-une heures trente, horaire trop léger pour évoquer un tapage nocturne, mais les coups devenaient de plus en plus forts et réguliers, ponctués désormais de cris aigus d'animal.
Déjà tétanisée par sa peur panique de la violence, elle s'approcha lentement de la porte d'entrée de son appartement et, stupide, aussi nue qu'immobile devant sa porte fermée, elle laissa ses oreilles accueillir la brutalité.
Elle avait déjà croisé le nouveau voisin de palier dans l'escalier, un jeune homme d'une vingtaine d'années avec deux pit-bulls et s'était fait la remarque qu'il fallait être un peu con pour avoir de tels chiens dans un appartement. Avec ses vêtements de sport, ses chiens, son air patibulaire et ses yeux défoncés vraisemblablement par le joint, il avait tout d'un dealer à la petite semaine - ce qu'il était certainement.
Il donnait donc une stupide raclée à ses pauvres clebs qui avaient dû pisser dans l'appartement avant que n'arrive sa copine, ce qu'Elettra comprit au bruit de pas suivi d'un cliquetis métallique dans la porte voisine.
Aussi faible alors qu'une enfant, elle s'était accroupie par terre, capable seulement d'entendre la suite, les yeux comme des pleines lunes dans l'obscurité du vestibule.
" C'est maintenant que tu rentres, espèce de pute ! Tu devais t'occuper des chiens ! Tu me casses les couilles, tu sais ! J'te préviens : la prochaine fois je te fous dehors, et eux avec ! Entre chiennes, vous vous comprendrez ! "
Ces mots d'amour avaient juste eu le temps de sortir, avant que la jeune femme ne refermât la porte. Les coups se calmèrent par la suite, ne restèrent que quelques pleurs, animaux ou humains. Un quart d'heure plus tard, Elettra était toujours derrière sa porte, stupéfiée par la scène, se disant que la prochaine fois elle oserait agir, appeler les flics.
C'est donc les idées noires et le ventre noué qu'elle s'endormit ce soir-là, tout entière absorbée par la connerie des gens.
Vers quatre heures du matin, elle fut réveillée par des cris qui, cette fois, disaient clairement qu'une conclusion sur l'oreiller se concluait chez le voisin. Elle avait dans le fond plus de peine pour les chiens que pour la femme.
Notice biographique
Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan. Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes. Récemment, elle a publié Débandade (roman) aux Éditions Philippe Rey.