Le bonheur, des camélias et des tisanes, un texte de Chantale Potvin…

Par Chatquilouche @chatquilouche

La réponse est tombée comme la lame d’une guillotine. Sans détour, j’ai répliqué à l’étudiante que le plus beau moment de ma vie fut celui où je fus face à la mort. Sidérée, la jeune universitaire, qui rédigeait un travail sur la philosophie du bonheur, poussa plus loin pour comprendre mes étranges assertions.
— Le premier souhait pour être heureux n’est-il pas d’être en santé ? me lança-t-elle.
Je lui rétorquai par la négative.
—Avant que le médecin ne m’oblige à monter sur cette table d’opération pour m’extraire une tumeur au cerveau qui m’avait rendue aveugle, j’aurais effectivement pensé que la santé était le vœu ultime. Or, je crois sincèrement, aujourd’hui, que cette demande est bien en dessous de ce que je vais vous expliquer.
L’étudiante tenait son microphone devant ma bouche, impatiente de connaître la suite.
Lentement, je me levai pour lui offrir une tisane à la camomille et lui parlai de mes merveilleux camélias roses qui explosaient de santé.
—Ces jolies fleurs sont très sensibles aux grands froids et au manque d’eau. Si je veux les garder à l’intérieur pour l’hiver, je dois les tenir bien loin des calorifères afin qu’ils ne s’assèchent pas.
De toute évidence, l’étudiante n’était nullement intéressée à mon exposé horticole sur les bienfaits de la camomille et à mes déclarations d’amour pour les camélias. Aussitôt que j’eus reposé mes fesses sur le fauteuil devant elle, elle allongea l’enregistreuse et reformula sa question.
—Selon vous, qu’est-ce qui est le plus important pour être heureux si ce n’est pas la santé ?
Je la regardai fixement en prenant plusieurs secondes de pause et lui déclarai simplement : « Le plus important, Mademoiselle, ce sont les camélias et les tisanes à la camomille ».
Visiblement insatisfaite, j’entrevis une pointe de regret dans les yeux de la jeune femme qui s’attendait au scoop de sa vie. « Pourquoi ai-je donc choisi cette auteure ? » devait-elle se questionner dans son for intérieur.
—Je ne comprends pas votre réponse, Madame, me lança-t-elle enfin avec des trémolos d’impatience dans la voix.
Je me levai et arrachai un camélia qui allait faner sous peu. Je lui tendis la fleur et lui demandai de caresser les doux pétales toujours frais et d’en humer la subtile odeur.
Elle s’exécuta sans joie apparente.
—Vous savez, avant ce jour qui m’a clouée au lit pendant 6 mois, je n’aurais pas pris la peine et le temps d’aimer les camélias et de savourer les meilleurs thés de ce monde. Avant, je n’aurais pas aspiré, avec une joie sans nom, les effluves de l’automne et appris par cœur les plus belles chansons de Brel et de Reggiani. Je n’aurais pas connu Dalida, Piaf et la très inspirante Marguerite Yourcenar. Avant, je n’avais pas le temps.
Des lumières s’allumèrent dans les yeux de l’étudiante.
—Avant de marcher dans les couloirs de la mort, je n’étais pas consciente de la chance magnifique que j’avais d’être en vie et c’est ce qui est vraiment important pour atteindre le bonheur qui n’est pas un état permanent, mais une philosophie. Et vous savez, Mademoiselle ? Le bonheur est dans les camélias et la tisane à la camomille.
Après m’avoir serré la main et fini de boire sa tisane, la jeune femme repartit sans oublier son camélia qui allait reposer éternellement entre les pages de mon dernier roman, que je venais de lui offrir.

Notice biographique

Née à Roberval en 1969, Chantale Potvin enseigne le français de 5esecondaire depuis 1993. Elle a publié cinq romans soit :

-Le génocide culturel camouflé des indiens

-Ta gueule, maman

-Les dessous de l’intimidation

-Des fleurs pour Rosy

-T’as besoin de moi au ciel ?

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)