Libres pensées
Ceux qui se sont trop souvent égarés sur ce blog le savent (coucou maman), je suis habituellement circonspecte à l'égard des auteurs qui entreprennent de partager l'histoire de l'un ou l'une de leurs aïeux, dans la mesure où il s'avère souvent (à mon sens), que l'intérêt de la démarche ne dépasse guère le cercle familial.
Néanmoins, certains romans font exception à la règle, et, après réflexion, je pense que je classerais parmi ceux-là celui de Gilles Perrault, qui nous raconte, comme le laisse entendre le titre aux plus perspicaces d'entre nous, son grand-père.
A ses côtés, on se hasarde donc à l'époque de la IIIe République, où les duels font rage, où la jeune République peut encore vaciller, où ses valeurs s'affirment doucement. Dans la famille Merlot, on adule Hugo, et le "bon juge" Merlot restera longtemps un mythe familial, sans néanmoins que l'on ne sache tout de sa vie singulière.
A travers son parcours, on découvre l'atmosphère politique de cette période particulière, Perrault fait revivre le marasme de l'affaire Dreyfus, les débuts du socialisme de Jaurès, le quotidien des militaires et la réalité sordide du bagne, vers laquelle le récit converge.
Ces passages-là sont sans doute ceux qui m'ont le plus interloquée, car si Les Misérables a fait passer les bagnards à la postérité grâce à la figure de Jean Valjean, il s'agit néanmoins d'un sujet sur lequel j'avais peu lu par ailleurs, et qui ne manque pas d'intérêt.
L'auteur partage en outre les obstacles rencontrés dans ce travail de reconstitution, les étapes de son enquête minutieuse, et ces apartés sur le travail en coulisses viennent, d'une certaine manière, étayer le roman.
L'entreprise est donc réussie, grâce aux recherches de l'auteur qui sous-tendent le récit, mais aussi à la figure de son grand-père, charismatique et grandiloquente, et à sa vie à la fois ordinaire et atypique. Comme quoi, écrire sur votre famille ne vous condamne pas à produire des écrits qui n'intéressent que votre grande-tante aveugle et sourde!
Pour vous si...
- Vous vous dites qu'il serait de bon ton de mieux connaître son histoire de France, et en particulier la période de la IIIe République.
- Il vous semble que les temps modernes manquent cruellement du panache des duels d'antan.
Morceaux choisis
"Il n'empêche que la décision du juge Magnaud, d'abord perçue par la plupart comme une foucade, honorable ou dangereuse, introduisait en France le débat qui devait aboutir à la définition juridique de "l'état de nécessité" conçu comme circonstance non pas seulement atténuante, mais absolutoire. Aujourd'hui encore, on tient colloque sur le sujet."
"Méfiante envers les militaires en général et les marins en particulier, la troisième République leur a carrément retiré le droit de vote, ce qui est raide. La mesure s'applique aux militaires de carrière comme aux conscrits, suspects, discipline oblige, d'être trop malléables aux mains de leurs officiers. L'armée devient "la Grande Muette". Les marins et les deux mille hommes du 25e régiment d'infanterie en garnison à Cherbourg sont donc frappés de mutisme. Dans une ville à forte densité militaire, cela agace forcément. Ce n'est que le 17 août 1945, un an après qu'il a été accordé aux femmes, que les militaires récupéreront leur bulletin de vote."
"L'ahurissante aventure boulangiste démontre que la France n'est pas immunisée contre la tentation du césarisme."
"Bien sûr que le ridicule tue : le duel mourut du ridicule de ces rencontres dont les protagonistes rentraient chez eux avec une piqûre à l'épigastre ou une égratignure au poignet, quand ce n'était pas tout à fait indemnes après échange de nombreuses balles qui ne mettaient en danger que la vie des petits oiseaux, bras dessus bras dessous avec leurs témoins qu'ils invitaient à ripailler dans un bon restaurant pour se remettre de ces violentes émotions. Plaisant paradoxe : la décollation des duellistes, entreprise et poursuivie avec rigueur par Richelieu et ses successeurs pour stopper une hémorragie décimant la noblesse française, n'avait pas réussi à exténuer le phénomène, et c'est quand on cessa d'y mourir que le duel mourut."
Note finale3/5(cool)