Et oui, la couverture, le titre, le nom de l'auteur, tout portait à croire que le roman du jour serait délicieusement érotique, une sorte de Nymphomaniac livresque ou de 50 shades amélioré.En fait, pas trop. Il va plutôt être question d'anthropologie, pour tout vous dire. Mais restez quand même, vous verrez, ça va être sympa.
Libres pensées
Margaret Mead, ça vous parle?
Petit topo pour les oublieux et les désabusés : je ne vais pas vous refaire toute l'histoire, mais dans le domaine, il y a des noms qui font autorité, au son desquels tout être doué de raison se prosterne et déverse la litanie des qualificatifs élogieux que la situation exige.
Parmi eux : Malinowski, Lévi-Strauss, Mauss. Je pourrais en citer bien d'autres, mais ceux-là sont fondateurs, autant se concentrer dessus (et c'est sans parler de ceux qui sont à cheval sur le domaine et l'ethnologie ou la sociologie...Coucou Emile!).
Si l'on pousse un peu plus, on tombe assez rapidement sur le nom de Margaret Mead, digne représentante de l'école américaine, qui a beaucoup œuvré en Océanie, et n'a pas hésité à publier des travaux sur la sexualité au sein de sociétés traditionnelles, et à souligner l'existence de la bisexualité et d'une liberté sexuelle fort éloignée des comportements puritains de l'Amérique des années 1920.
Margaret, donc, est subversive!
Pour cela, entre autres choses, a-t-elle l'étoffe d'un personnage romanesque, si bien qu'elle est au cœur d'Euphoria, sous les traits de Nell Stone.
A ses côtés, son époux Fen, anthropologue lui aussi, mais vivotant dans l'ombre de sa femme, et vraisemblablement aigri, et le narrateur, Bankson, britannique pour sa part, d'abord ravi de retrouver des confrères au fin fond de la Nouvelle Guinée (comprenons-le, ce n'était pas gagné d'avance), avant que la dynamique du petit groupe ne se trouve toute bousculée par les affinités nouées de-ci de-là.
Les réflexions autour du regard portées sur les sociétés "primitives", sur l'autre, sur la norme sociale, sont relativement intéressantes, suffisamment en tout cas pour donner envie de se replonger dans l'oeuvre de Mead, car les allusions à ces travaux sont au coeur du récit, par ailleurs très romancé, car il faut également reconnaître que l'intrigue amoureuse prend rapidement le pas sur le reste. Le rapport des anthropologues à leur objet d'étude, à savoir, les membres des sociétés qu'ils observent, interpellent eux aussi, car il mêle une volonté de bienveillance à ce qui se rapproche toujours d'une forme de paternalisme embarrassant.
Ainsi, Euphoria emmène son lecteur sur un territoire lointain, et fait vivre des scènes historiques et cruciales pour la recherche anthropologique, en mettant au premier plan un triangle amoureux crédible, et propice à des tribulations qui maintiennent en haleine.
Bien joué Lily!
Pour vous si...
Morceaux choisis
"Dans tout ce que nous faisons dans ce monde, dit-elle, nous sommes toujours limités par notre subjectivité. Mais cette perspective peut être de très grande envergure, si nous lui offrons la liberté de se déployer. Regardez Malinowski, dit-elle. Regardez Boas. Ils définissaient leurs cultures telles qu'ils les voyaient, telles que eux comprenaient le point de vue des indigènes. La solution, c'est de se libérer de toutes les idées qu'on peut avoir sur ce qui est "naturel", affirma-t-elle."
"Dans le monde primitif, rien ne me choque, Bankson. Ou plutôt, je devrais dire, ce qui me choque dans le monde primitif, c'est qu'il y ait un sens de l'ordre et de la morale. Tout le reste - cannibalisme, infanticide, attaques, mutilations - tout est compréhensible, presque raisonnable à mes yeux. J'ai toujours été capable de voir la barbarie sous le vernis social. Elle n'est pas si loin de la surface, quel que soit l'endroit où on va."
"Elle me versa un autre verre et, dans l'air que déplaçaient ses mouvements, je sentis à nouveau l'odeur fabriquée de ces femmes."
Note finale3/5(cool)
Libres pensées
Margaret Mead, ça vous parle?
Petit topo pour les oublieux et les désabusés : je ne vais pas vous refaire toute l'histoire, mais dans le domaine, il y a des noms qui font autorité, au son desquels tout être doué de raison se prosterne et déverse la litanie des qualificatifs élogieux que la situation exige.
Parmi eux : Malinowski, Lévi-Strauss, Mauss. Je pourrais en citer bien d'autres, mais ceux-là sont fondateurs, autant se concentrer dessus (et c'est sans parler de ceux qui sont à cheval sur le domaine et l'ethnologie ou la sociologie...Coucou Emile!).
Si l'on pousse un peu plus, on tombe assez rapidement sur le nom de Margaret Mead, digne représentante de l'école américaine, qui a beaucoup œuvré en Océanie, et n'a pas hésité à publier des travaux sur la sexualité au sein de sociétés traditionnelles, et à souligner l'existence de la bisexualité et d'une liberté sexuelle fort éloignée des comportements puritains de l'Amérique des années 1920.
Margaret, donc, est subversive!
Pour cela, entre autres choses, a-t-elle l'étoffe d'un personnage romanesque, si bien qu'elle est au cœur d'Euphoria, sous les traits de Nell Stone.
A ses côtés, son époux Fen, anthropologue lui aussi, mais vivotant dans l'ombre de sa femme, et vraisemblablement aigri, et le narrateur, Bankson, britannique pour sa part, d'abord ravi de retrouver des confrères au fin fond de la Nouvelle Guinée (comprenons-le, ce n'était pas gagné d'avance), avant que la dynamique du petit groupe ne se trouve toute bousculée par les affinités nouées de-ci de-là.
Les réflexions autour du regard portées sur les sociétés "primitives", sur l'autre, sur la norme sociale, sont relativement intéressantes, suffisamment en tout cas pour donner envie de se replonger dans l'oeuvre de Mead, car les allusions à ces travaux sont au coeur du récit, par ailleurs très romancé, car il faut également reconnaître que l'intrigue amoureuse prend rapidement le pas sur le reste. Le rapport des anthropologues à leur objet d'étude, à savoir, les membres des sociétés qu'ils observent, interpellent eux aussi, car il mêle une volonté de bienveillance à ce qui se rapproche toujours d'une forme de paternalisme embarrassant.
Ainsi, Euphoria emmène son lecteur sur un territoire lointain, et fait vivre des scènes historiques et cruciales pour la recherche anthropologique, en mettant au premier plan un triangle amoureux crédible, et propice à des tribulations qui maintiennent en haleine.
Bien joué Lily!
Pour vous si...
- Vous avez des envies d'exotisme
- Vous n'êtes pas farouchement opposé à ce qu'un auteur prenne quelques libertés avec un récit inspiré d'une "histoire vraie", comme on dit.
Morceaux choisis
"Dans tout ce que nous faisons dans ce monde, dit-elle, nous sommes toujours limités par notre subjectivité. Mais cette perspective peut être de très grande envergure, si nous lui offrons la liberté de se déployer. Regardez Malinowski, dit-elle. Regardez Boas. Ils définissaient leurs cultures telles qu'ils les voyaient, telles que eux comprenaient le point de vue des indigènes. La solution, c'est de se libérer de toutes les idées qu'on peut avoir sur ce qui est "naturel", affirma-t-elle."
"Dans le monde primitif, rien ne me choque, Bankson. Ou plutôt, je devrais dire, ce qui me choque dans le monde primitif, c'est qu'il y ait un sens de l'ordre et de la morale. Tout le reste - cannibalisme, infanticide, attaques, mutilations - tout est compréhensible, presque raisonnable à mes yeux. J'ai toujours été capable de voir la barbarie sous le vernis social. Elle n'est pas si loin de la surface, quel que soit l'endroit où on va."
"Elle me versa un autre verre et, dans l'air que déplaçaient ses mouvements, je sentis à nouveau l'odeur fabriquée de ces femmes."
Note finale3/5(cool)