Si le ridicule ne tue pas, le sérieux a une incroyable collection d’instruments de torture ; et il sait sacrément bien les manier. J’avais perdu ce réflexe un peu bête qu’ont les gens quand ils se rétament au milieu de la rue, de se relever aussi vite qu’ils ont chuté, de jeter un œil autour et de tracer leur route de plus belle. Il n’y avait aucun trou sur le trottoir, personne ne m’avait fait de croche-pied et la terre n’avait même pas tremblé un peu, pourtant je me suis étalée comme mes crêpes sur le carrelage de la cuisine quand, bouffie d’orgueil, je m’obstinais à vouloir les faire sauter.
J’avais perdu ce réflexe un peu bête qu’ont les gens de manger quand il y a des convives autour de la table, quand ils se sentent un peu vides ou qu’ils ont seulement faim. Le monde était bien trop occupé à décoller sa crêpe à lui, à hésiter entre la confiture le nutella et le sirop d’érable et à finalement lever son verre, pour prendre la peine de rire de mon crash burlesque ; le ridicule n’était même pas de la partie, pourtant j’ai eu si peur d’en crever que j’ai cru que l’horizontalité me sauverait, et je ne me suis jamais relevée.
C’est drôle, comme l’oreille collée contre les lames du plancher, les rires des invités se travestissent en requiems ; et comme en fermant les yeux, on est plutôt doués pour se raconter un tas d’histoires, alors que ça fait une éternité que notre regard a perdu la magie qui le faisait briller à l’époque où on savait croire aux « ils vécurent heureux ». À déchirer les entrailles des proverbes, j’avais perdu ce réflexe un peu bête qu’ont les gens de les balancer sur la table entre les bulletins météo, les scoops de la presse à scandale et les blagues carambar, de les y oublier et rentrer chez eux avec sur le visage les sourires qu’ils leur ont arraché, leur dernier souffle bien au chaud.
Il y a des touristes qui visitent le musée de la torture comme ils ont fait le tour des mystères des remparts de Carcassonne et ont encore un peu de temps à tuer ; d’autres qui connaissent par cœur le nom et la notice de chaque instrument pour se les être récités mille et une fois en attendant que la douleur passe. J’avais perdu ce réflexe un peu bête qu’ont les gens d’inspirer, de rire, d’aimer de pleurer et de se mettre en colère.
L’appétit vient en mangeant ; alors, pardonne-moi si, comme tu me proposes de goûter à tes doigts, je t’ai déjà bouffé tout le bras : depuis le temps que je suis à jeun, je crève drôlement la dalle.
Notice biographique
Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture. C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.